#P4 QUOI…

-Alors ?

-Ben quoi ?

-Quoi, ben quoi?

-Ben oui, quoi, tu veux quoi ?

-C’est toi qui demandes ?

-Ben je sais pas, c’est toi qui…

Le temps s’allonge, leurs regards s’ancrent et rien ne se dit. Elle voulait qu’il lui parle, qu’îl lui fasse confiance et elle n’a pas su attendre. Peut-être aussi qu’elle savait obscurément qu’il ne viendrait pas vers elle si facilement mais elle s’y est mal pris. Elle s’est piégée toute seule. Et le voilà fermé à double tour et maintenant c’est elle qui cache ce qu’elle pense.

-On m’a dit que…

-On est un con.

-Oh, doucement.

-Ben quoi, c’est toi qui …

-Tu vois tu recommences.

La situation est bloquée, extrême inverse de ce qu’elle voulait. Comment renouer ? Si elle parle d’autre chose, cela fera du vent mais n’y changera rien. Il sait qu’elle sait. Elle avait, oui, l’ascendant sur lui, une longueur d’avance et elle a grillé ses cartouches et à présent il est le plus fort, soit elle capitule, soit il l’écrase de sa suffisance. « – Pas besoin d’en parler si tu sais ».

Mais elle ne sait pas ce qu’elle voudrait savoir, elle ne sait pas ce qui l’a poussé, lui, à faire ça, à prendre cette décision-là.

« À bien y réfléchir, est-ce si important pour moi de savoir à tout prix, vouloir être dans sa tête, n’est-ce pas une façon aussi de le manipuler, d’en faire un écervelé. Je me suis fourvoyée, comme prêcher le faux pour savoir le vrai. Quel vrai ? le mien ou le sien, après tout c’est sa vie, il fait bien comme il veut, je dois accepter… Oh non, pas maintenant, pas déjà. J’inspire fort, il soupire, c’est ça, je le vois, je l’ennuie, c’est fini, pense-t-elle. Je devrais m’excuser, de l’intrusion, d’avoir choisi l’autre camp. De m’être plantée en face comme pour une confrontation. De ne pas m’être montrée disponible. Après tout cela ne me regarde pas. Il est libre et responsable. À moins que ce ne soit ça justement. Je ne le pense pas responsable, je ne le juge pas digne de confiance. Je le voudrais autre, comme moi, non pas comme moi, mais de mon côté, pour moi, asservi à ma cause. Malléable ? pense-t-elle.

-Est-ce que tu veux que…

-Laisse !

et rien, plus rien. Il a dit « Laisse », c’est tout. laisser quoi ? Le laisser, lui, tranquille, respirer, réfléchir. Laisser tomber, c’était pas important, rien de grave, une broutille?

De loin, c’est une seconde ; à l’intérieur pourtant ils sont arrêtés, atomisés.

A propos de Bénédicte Lesenne

Des planches de la boite noire à la rue, des coussins de la bibli à la halle du marché, elle lit et dit.

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