#40 jours #prologue | de Sainté à Kharkiv

Du Guizay, on voit les sept collines et cette grand’rue de sept kilomètres. Des voies de chemin de fer, beaucoup, là, tu vois, c’est notre immeuble. Du vert beaucoup, et pas seulement de nature, le vert des footballeurs : le 26 mai 1944, les avions américains veulent détruire les infrastructures du chemin de fer, la gare de triage vers Tardy. Neuf bombes sur dix ont manqué leur objectif, huit instituteurs et vingt-quatre enfants de l’école primaire mourront, c’est tout près, on a entendu les avions bourdonner longtemps, le panneau de la porte a sauté, stupeur. Tu as cinq ans.

Sur le site de voyage, un Diên Biên Phu merveilleux, la ville a à peu près cent cinquante mille habitants, les rues sont pleines de Tuk-Tuk de mobylettes et de vélo. À quelques pas du centre-ville, la beauté de cette rizière de vingt kilomètres de long. Il reste beaucoup de maisons sur pilotis en bambous ou bois de teck des Thaïs : En mai 1954, il y aura 57 jours et 57 nuits de combats atroces, les Français n’imaginaient pas que « les viets » résisteraient autant. Tu voulais y aller dans cette cuvette, pour soigner, aider, pas encore compris ce désir d’indépendance, tu as quatorze ans.

Santiago fait frémir, la foule dans les rues, le chant du groupe Quilapayún retentit. Gabriel Boric est élu président. Quelle ville ! autour de la gare centrale, des populations variées, citadins en costume, d’autres bariolés aux costumes colorés. La rue Meiggs aux commerces très modernes ou très sommaires, ce quartier Bellavista qui vit la nuit. La Chascona, maison où vécut Pablo Neruda : En septembre 1973, le 11, Salvador Allende est assassiné-suicidé dans le palais de La Moneda. Le Chili veut un état socialiste, c’est la guerre froide, et le pays connaît une grave crise économique politique, financière. Salvador Allende, élu président est assassiné-suicidé. Tu es horrifiée, les États-Unis sont à l’œuvre en Amérique latine, tu as trente-trois ans.

La ville de Kharkiv, tu ne l’as jamais vue que sur les vidéos envoyés à ta fille. Tu sais que c’est la deuxième ville d’Ukraine, 1 500 000 habitants, grand carrefour ferroviaire, de larges avenues — la ville a été reconstruite après d’énormes dégâts du second conflit mondial. Tu as vu le petit de cinq ans sur un toboggan dans un des grands parcs : le 24 février 2022, les troupes russes entrent en Ukraine, eux ont pris trois valises et sont partis en voiture vers l’ouest. On essaie de réaliser, on ne peut pas, on sait, mais non. À Kharkiv tout est par terre. Eux ont tout perdu. Au XXIe siècle, encore, encore, encore ? Jusqu’à quand ? Toute l’humanité, si fragile sous les coups ? Chaos noir, désordre et noir chaos y aura-t-il une fin de l’Histoire ? Tu as quatre-vingt-un ans.

9 commentaires à propos de “#40 jours #prologue | de Sainté à Kharkiv”

  1. Seule l’écriture est un abri fiable. En témoigne les centaines de récits, notes, journaux, cachés dans le ghetto de Varsovie ou les chants du peuple juif assassiné d’ Itskhok Katzenelson, retrouvés au camp de Vittel, dans une bouteille en verre qu’il avait enterrée là, avant sa déportation vers Auschwitz. Oui, l’écriture seule et les feuilles tremblantes.

  2. Le vide, la guerre, l’horreur, rythmée par les âges, et donc par la vie. Merci de le dire ainsi.