#40jours #18 | Le retour de l’enfant

Dans le train qui le conduisait vers la ville où il était né, tout était silencieux. Il y avait eu un incident sur la ligne, le contrôleur l’avait annoncé au micro, en plaisantant pour détendre son monde. On ne l’avait plus entendu depuis.

Jamais de mémoire il n’avait fait ce voyage à si faible allure. Des noms étrangers venaient accrocher son regard pour le divertir. Andrésy, Chanteloup-les-Vignes, Pissefontaine et son ressac végétal qu’il était bien incapable de nommer. Il cherchait en vain le nom de cette drôle d’église creusée par un tunnel sur la route de Tiel. Combien de boucles de Seine fallait-il enjamber pour atteindre Mantes-la-Jolie, après tant d’années il n’en savait rien, pas plus que ce qu’on cultivait dans les champs entre Thun et Guitrancourt.

L’arrogance du trajet l’agaça soudain. Il se redressa sur son siège et s’humecta les lèvres pour se ressaisir, évita le paysage du regard. Une pensée désagréable continuait de l’envahir. Il avait fait ce voyage des dizaines de fois et jamais aucun de ces retours ne l’avaient satisfait. Il y avait toujours quelque chose. Il y revenait parce qu’il était sans logement ou sans travail. Il y revenait pour mettre les choses au clair avec une soeur ou un cousin. Il y revenait pour enterrer une amie ou pour qu’une autre le quitte. Et quand il revenait sans raison, pour le plaisir comme le disent les douaniers d’aéroport, quelque chose venait tout gâcher. Aujourd’hui le paysage qu’il devrait reconnaître se comporte avec lui comme un étranger. Demain quelque chose de plus décevant encore.

Ces pensées l’insupportèrent au point qu’il se leva d’un bond. Il s’avança dans l’allée et parcouru le wagon désert jusqu’à la plateforme. Une femme l’occupait déjà avec sa valise. Elle avait de longs cheveux bouclés qui retombaient en souplesse sur ses épaules et le haut de sa robe d’été. Ses lèvres étaient fines et dessinaient sur son visage un sourire de chat. Tout chez elle était lumière.

Par réflexe, il décida qu’il était venu ici pour être seul et fit un mouvement de recul, l’air à la fois déçu et agacé, un air qui voulait faire comprendre à l’étrangère qu’elle venait gâchait quelque chose de précieux. Il jouait souvent cette partition et les gens affichaient pour la plupart le regard confus et désolé qu’il recherchait. La femme ne lui donna pas ce qu’il attendait. Elle le regarda longuement, sans pudeur ni jugement, comme on considère un proche qui vient d’entrer dans un pièce commune. Il essaya de varier son jeu en prétendant la déranger mais elle ne répondit pas à ses excuses.

Dans son esprit, tout se passa très vite. Il renonça à ses bassesses comme on s’abandonne à la mer pour se noyer. C’était sans aucun doute la plus belle rencontre de sa vie. Le train venait de s’arrêter en pleine voie pour la énième fois. Ils avaient une éternité devant eux pour faire connaissance. Une histoire d’amour ou d’amitié pouvait naître de cet instant disgracieux. Ils passeraient ensemble Mantes-la-Jolie et fileraient jusqu’à Rouen, traverseraient les ponts jusqu’au dernier en pointant la flèche de la cathédrale qui fendrait le ciel au loin comme elle le fait toujours, sans un regard pour la rive gauche. Peut-être qu’enfin, après tant d’années de recherche, son retour aurait quelque chose de réussi. Peut-être qu’enfin il n’aurait plus besoin de revenir et resterait.

Sans savoir pourquoi, il se rua sur la sonnette d’alarme qu’il tira, mis sa main sur la poignée de la porte et poussa de toute ses forces pour l’ouvrir. La femme derrière lui balbutia quelque chose mais il sauta dehors sans se retourner. Le train était arrêté au milieu de rien.

Il prit un chemin qui regagnait la route en contrebas et sa zone commerciale qui s’étendait sur des kilomètres, laide à en pleurer. Sans un regard vers le train et ses passagers agglutinés aux fenêtres, il se mit à penser à ce qu’il raconterait aux siens qui l’attendent. Il arriverait en retard ou cette fois n’arriverait pas du tout. Il serait obligé de revenir sans croire un instant à un retour serein.

Il serait obligé de revenir et cette seule pensée le réconfortait.

A propos de James Hardy

Auteur imaginé par un scénariste de télévision. Le premier n'écrit pas assez au goût du second qui, lui, travaille principalement pour des programmes jeunesses. Tous les deux font des fautes mais se trouvent toujours des excuses.