##40 jours #23 | La Porte de Sauveterre

Figure 53 – Derrière le Portail – photoperso – 20220712_103722
  • Ah ça y est, on s’réveille !?
  • … b’jour Martine…
  • T’es le premier, les autres dorment encore. Vous êtes couchés à quelle heure ?
  • Haussement d’épaule.
  • Sinon, bien dormi ?
  • … oh… la tête…
  • Tu veux un truc ? Doliprane ?
  • … ça cogne… pas de refus… Martine part dans la pièce à côté. — Un temps… ouais, la nuit… ça va, mais c’est court… Martine revient, avec un verre d’eau en effervescence… et j’ai fait un de ces rêves… que j’me retrouvais devant un portail j’sais pas trop où mais dans Sauveterre… c’était dans une rue avec trois petites maisons jumelles à moitié abandonnées et au bout un portail… un vrai portail qui donnait sur rien… ah ça pique mais c’est frais… ! enfin j’me retrouvais devant le portail… j’sais plus comment j’me suis retrouvé devant mais j’étais là… un peu comme un con à moitié sonné… en même temps en sortant de boîte… et d’un seul coup c’est parti ! j’ai été comme emporté… j’ai traversé le portail…
  • Ça t’dérange si j’fume ? j’vais mettre dehors sur la terrasse. Elle sort. C’était pas le Portail ?
  • … c’est peut-être ça… en tout cas j’suis passé à travers… j’suis pas passé au-dessus du portail en sautant j’l’ai traversé c’est ça… j’avais pas le choix ça tirait j’l’ai traversé… littéralement… et ça a fait un boucan d’enfer… un bruit de ferraille déchirée… et là j’étais dans une sorte de chemin en friche et j’me suis pris des buissons et des ronces… j’sais pas dans quel état auraient été mes fringues en vrai… et les branches d’arbres en pleine figure… et puis j’suis sorti sur un terrain vague… une petite place de cailloux blancs et de gravier… il y avait un bâtiment à droite un hangar peut-être et un grand bâtiment assez neuf comme une résidence… mais j’glissais vers la gauche… un chemin et de l’herbe et j’suis passé entre deux arbres avant d’être jeté dans une haie… j’l’ai traversée… et j’me suis bouffé la vitre d’un grand bâtiment… ça a volé en éclats… j’savais toujours pas où j’étais… mais j’ai compris après quand j’me suis retrouvé dans un bureau… un petit bureau vide et tout gris où il faisait sombre… il y avait des dossiers entassés sur le bureau et ça a valdingué… t’aurais vu les feuilles partout… et j’étais tiré dans le couloir… la porte par terre… et à droite à gauche et la porte par terre et j’me retrouvais dans une salle avec plein de casiers comme dans des archives… des casiers en métal et ça claquait…
  • Dis donc c’est une histoire à dormir debout ton rêve !
  • … eh ouais… et j’sais plus comment j’suis arrivé dans une espèce de hall… et j’ai reconnu… c’est là qu’j’ai su où j’étais que j’étais toujours à Sauveterre… au centre des impôts… le hall vitré et c’est surtout la boîte… la grande boîte pour de grandes lettres que j’ai reconnu… du fait maison en contreplaqué… avec sa petite poignée chromée et son cadenas à code rouge… et elle a volé la boîte… fracassée et les lettres qui se dispersaient… et j’ai pris la porte vitrée… en mille morceaux… l’escalier et le parterre de fleurs… fauché… et j’ai traversé la route… ça filait ça filait tout ça mais ça s’est arrêté devant le passage piéton… juste un instant comme ça… une poignée de secondes où j’ai eu le temps de voir que c’était l’aube… l’aplat rose du ciel… et c’est reparti… j’étais repris… ça me prenait dans le bide et j’me suis retrouvé dans la grande bâtisse en face des impôts dans la cour de cailloux blancs… le portail était ouvert… et la petit allée sur le côté et la grande entre deux longères jusqu’à un grand jardin… j’étais toujours dans l’allée mais ça se resserrait… j’passais entre les arbres et j’ai pris la haie et c’était reparti pour un tour de flagellation… j’mettais les bras comme ça en croix mais j’en prenais plein la figure… des branches de la haie et après tout le champ de maïs bien haut… avec les feuilles bien coupantes… et ça filait ça filait plus vite j’crois bien… avec un bruit de moissonneuse… ça résonnait ça résonnait et c’était des allers-retours et il en finissait plus ce champ… à croire que j’me suis fait tous les rangs… Le téléphone sonne.
  • Attends. Martine pose sa cigarette sur le rebord de la table, traverse la cuisine vers la pièce d’à côté. On l’entend marmonner, elle revient, ressort et s’assoie sur une chaise de jardin en bois qui craque. C’était Claude. Et alors, ces moissons ?
  • Oh j’suis resté à la bière… mais les autres en boîte de nuit c’était cucaracha sur cucaracha… !
  • Non… moi sons… j’parlais du champ… de ton rêve !
  • Ah… ! la course en folie… ! ouais j’suis ressorti du champ dans un petit jardin… j’ai pris un arbuste mais ça m’a rien fait… après les mille et une feuilles en pleine figure… et j’suis rentré dans la petite maison par la fenêtre qui a sauté… dans une chambre le lit défait la porte ouverte… et direct dans la cuisine où un couple prenait le petit-déj… d’ailleurs j’commence à avoir un petit creux… et soif…
  • Eh ! c’est ça le double effet cucaracha !
  • … ouais et d’ailleurs j’suis ressorti de leur cuisine ils ont pas eu le temps de rien dire… j’suis même pas sûr qu’ils m’aient vu en fait… et j’suis ressorti avec un bol de café et un paquet croissants… j’me suis pas gêné pour mordre dedans… par contre le café vu la vitesse où ça filait c’est tout juste si j’ai pris une gorgée… c’est le t-shirt qui a tout bu… surtout quand j’ai repris la haie de thuyas… et direct j’suis tombé sur la route et il y avait une bagnole qui arrivait… j’sais pas ce qui s’est passé… klaxon crissement de pneus la bagnole dans la murette en face avec un trou énorme… j’suis passé là… en plein dans le cimetière… le vieux… en plein dans l’allée des soldats anglais de la Seconde Guerre… avec ces croix brillantes qui ont l’air d’épées plantées dans le sol… le mouvement s’est ralenti en passant devant… et j’ai vu un type au garde-à-vous sous le grand châtaignier… j’crois que c’était un châtaignier… et passé les tombes des Anglais morts pour la France et le type sous l’arbre c’était reparti… comme dans le champ de maïs… toutes les allées du vieux cimetière… c’est là que j’ai découvert l’emplacement d’Émile Gaboriau… et c’était marrant ces deux vieilles tombes affaissées comme deux têtes d’amoureux penchées sur l’une sur l’autre… à croire que c’est jusque dans la mort ça… c’est bizarre de retenir ça parce que ça filait plus vite quand même… j’ai même pas vu comment j’ai traversé la murette et puis la route avec le camion de chantier orange bondissant… et puis carrément une course de haies d’un jardin à l’autre et des arbustes et le slalom entre les arbres et les piscines… deux ou tirs piscines… j’me retrouvais au fond et à chaque fois le mouvement ralentissait… et même j’y voyais moins à chaque fois sous l’eau…
  • À croire que ça t’faisait le coup du grand bleu… Martine reprend sa cigarette presque éteinte sur le rebord de la table, la carotte de cendre de quelques centimètres tombe, elle tire sur le mégot un bon coup, l’écrase par terre et le pose sur la table en crachant une longue et fine bouffée.
  • … le plus bizarre c’est que j’ressortais tout sec et allez… course de haies et petit-déj en famille… café chocolat café au lait biscottes beurrées et tartines grillées avec confiture de figue de pêche ou d’orange du miel des Frosties des Chocapic croissants et chocolatines des chaussons aux pommes des œufs sur le plat avec bacon du saucisson et même du camembert sur la confiture d’orange…
  • Sur place ou à emporter ?
  • … en sortant d’une chambre j’avais un doudou sur l’épaule… tout déchiré et tout crade qui sentait le fraichin…
  • Et un garage non… ?
  • … si si… le garage… obligé… mais bien rangé j’ai eu de la chance… j’en suis ressorti avec la tondeuse… mais à l’envers… j’étais assis dessus et j’avais la poignée repliée en main… je continuais la course en marche arrière sur l’engin fou…
  • Avec doudou qui pue sur l’épaule ?
  • … c’est ça… doudou qui pue… j’sais pas combien j’ai traversé de jardins et de route… et maintenant qu’j’y repense j’ai l’impression qu’il y en a pas eu tant que ça… si ça se trouve c’était le même jardin la même maison et une seule route après mais en boucle… bref à part les pauses piscine tout s’enchainait vite… et j’ai fini par traverser le jardin de la chambre de commerce j’crois… une belle petite pelouse avec des arbres des branches dans la figure des parterres de fleurs… fauchés… et puis le muret au fond… et là j’étais sur un sentier que j’connaissait pas du tout… au milieu des habitations… un tout petit chemin blanc entre une clôture en bois et un jardin potager avec des rangs tomates… des grosses cœur de bœuf… il y en avait des tombées au pied en train de pourrir… et le petit chemin m’emmenait dans une véranda… c’est le seul endroit où j’me suis fait engueuler par une mamie en robe de chambre qui buvait son café avec des boudoirs en écoutant la radio… mais elle a à peine eu le temps de se lever que j’avais filé dans le couloir et fait voler la porte d’entrée et le sistre… ça a sonné gondolé… et en fait j’ai dû joué les passe-murailles avant… j’ai l’image d’un cuisine avec une petite table en formica crème écaillé et d’une autre avec un ilot et des chaises hautes où ça sentait bon le café qui coulait et il y avait tout ce qu’il faut sur la table et personne…
  • Ah ben dis donc ! tu l’as pris au mot le vieil adage de qui dort dîne, ou petit-dèje…
  • … bref ça doit pas être la porte de la mamie qui a éclaté… et puis j’avais plus le même doudou sur l’épaule… j’sais plus ce que c’était mais ça puait quand toujours… en tout cas dans la rue juste en face se trouvait la petit allée goudronnée et le hangar toujours ouvert qui ramène dans la petite rue… là-bas… derrière…
  • Oui qui remonte à notre cave…
  • … sauf que j’suis pas remonté là… j’suis même redescendu et j’ai pris l’escalier à gauche qui remonte chez Brochon… c’était fermé mais ça a volé les deux portes… et j’ai été emporté de l’autre côté de la terrasse… les chaises et les tables par terre… et les cailloux blancs ça sautait… à croire qu’on terrassait… et une ou deux branches dans la figure bien sûr… le portail de l’autre côté a volé aussi et je filais tout droit en face dans la ruelle en pente… la casse-gueule… si vite que j’ai pas touché le sol… j’ai fait un bond et j’étais tout en bas au pied de la galerie noir… même l’escalier du chemin de ronde j’l’ai survolé… et j’me suis retrouvé là au pied de la galerie noire… dans la dalle entre les escaliers… ça s’est arrêté là… j’étais devant la grille dans le mur la trappe en forme d’arc… devant l’espèce d’entrée de souterrain avec une sorte de petit bassin ou devant…
  • Ah je vois, c’est la Porte de Sauveterre.
  • … et vu l’heure inutile de dire qu’on y voyait comme dans un four… la seule chose que je distinguais c’était le petit cadenas… la petite pointe de jaune… et puis au réveil au-dessus de moi la gueule du Che… Un temps…
  • Eh ben… t’es sûr d’avoir tourné qu’à la bière ? Un temps… Martine se lève et entre dans la cuisine en jetant le mégot d’une chiquenaude par-dessus le muret de la terrasse. J’te serre un café, Claude devrait plus tarder avec les croissants. Et cherche pas tes vêtements ce matin, on t’en prêtera. C’était dans un état ! Maintenant, va falloir attendre, c’est dans le tambour de la machine.
Figure 54 – La Porte de Sauveterre – photoperso – 20211222_145023

A propos de Will

Formateur dans une structure associative (en matière de savoirs de base), amateur de bien des choses en vrac (trop, comme tous les grands rêveurs), écrivailleur à mes heures perdues (la plupart dans le labyrinthe Tiers Livre), twitteur du dimanche sur un compte Facebook en berne (Will Book ne respecte pas toujours « les Standards de la communauté »), blogueur éphémère sur un site fantôme (willweb.unblog.fr, comme un vaisseau fantôme).

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