#40jours #36 | l’acropole de Jinghui Meng

Pina Bausch – les lieux sont choisis avec soin pour le bal, il faut faire jaillir le noctambal avec des habits flamboyants, longues robes où le son de la bure parcourt les épaules, le torse, les anses de la jarre, les chaussures plates enveloppent le pied comme une tige à lacets, et les yeux, les yeux, les yeux laissent couler de longues tresses douces, couvrent ton beau visage, pour affleurer le long des trottoirs les bras repliés le long du corps, les bras tombés oubliés, tandis que les jambes évoluent sur la place, les immeubles et les monuments ont une sueur de pierre contre ton dos, ton ventre, le dos qui se repose, presse la chair des pierres, le long des colonnes, glisse et forme les jambes, où le sol accueille ta vigueur comme un sang, et je bois à ta coupe, Pina Bausch, je bois à ta musique, au socle de ton corps, au suaire, au charme des cheveux. Front contre front, vous vous regardez, vous vous soulevez ensemble, l’Isadora et toi, l’orbe de vos bras signe un air torride de favelas, et le jour est si plein de nos misères qu’il faut tendre l’oreille, écouter les bras entendre à pas feutrés, l’ordre de vos pas, seigle et poussières amères, bistre amer, ciel acide quand le sol se fissure et vous embrasse à jamais, avec sa tiédeur de sol encore gorgé de soleil – vos cheveux évanouis sur les épaules.

Maria Casarès – ne regarde pas celui qui te salue de près, ne retourne pas au brasier, hante et fuis, ardent masque de Sophocle, palme ardente des abîmes parle aux hommes, et cours, roule vers la mer, sur les cailloux d’Egypte, la marée haute des sandales quand elle court et claque dans les herbes de Tipasa, rejoins l’amant, rejoins la force des Atrides, n’apaise pas la joie d’espérer toujours, regarde-nous droit dans le corps, par-delà la folie le beau travail des herbes, ta voix cavaleuse saura germer dans les broussailles et les épines fleuries de Tipasa, là tu pourras crier, élever la prière des sourds, le ventre muet d’incertitude, le ventre, le refus d’inaboutir, ta voix comme un feu rempli de fumées, tu seras la falaise quand tu te jetteras dans l’ombre des entrailles, rejoins la route et cours, rejoins la route et cours, cours vers l’amant de Tipasa, la marée haute des broussailles arrachera ta peau, tu ne seras plus qu’un angle, une pointe, une ivre, tes cheveux collant à ton crâne comme une peau de serpent, tu perdras tout jusqu’aux derniers doigts jusqu’aux sourcils, ne conservant que le regard, son cirque noir enflé de mer – le tourbillon des eaux heureuses.   

Angela Davis – la parole aux assoiffés de jais, de joutes, de noces, ta peau tourne comme un vent de gloire, je te vois Brooklyn, je te vois partout, l’errance d’une trompette, aficionados sur les rangs du monde, le vent sa parole douleur, avec cette soif nous ne cessons d’entendre, à reprendre en bouche, à boire à chaque instant, la nuit à boire sans cran de sûreté pour tomber à coups sûrs sur toi, reine à dire, à manger chaud, à prendre à deux bras pleine gorge, parole et chant, pressure à vivre, bataille à battre-le-timbre-de-la-voix, celle qui ne dort pas tant qu’il fait encore nuit dans les coeurs, celle qui regain, celle qui porte, celle qui démure et désencastre, par-delà fourches et remparts le vent cabole et se répand, il ne s’agit de laisser le tigre se dissoudre dans l’air, toutes dents sorties pour mordre le mensonge, ta colère est sortie par les grandes portes, ouverte au nord, gagnant la côte à coups de sinistres, il faut creuser, abattre la rampe, ta colère socle de la ville, soulevée obole de verdure, levée dans l’air l’arbre jailli de la plèvre – ton clair sourire libérateur.   

Lee Miller – correspondante de guerre, tu fus l’œil qui savait, tu seras l’œil qu’on regarde, la défricheuse des corps et la torture

Chantal Akerman – je tourne avec toi, et tu nous filmes toujours ton œil pressé sur la détente suivi de loin par les paupières, à nous suivre de rue en rue, à nous suivre en lilas, eau douce, le gel sur le rebord des rives, chemin de hallage à nous suivre, comme une aube au frein léger, ambre baissé si clair de cet œil-là – le choix qu’on agite sanglé aux hanches, tourne en dedans la hanche, son air saxophonique, toute la forme du coude sous la fenêtre, à marcher cela d’ombre en nacelles, l’ample tournure du destin comme on ne court pas quand on marche au bord, un pied devant l’autre à calmer les palpitations du triomphe, pour baisser les paupières et attendre, attendre en ombre, déprise et souple un désir d’être là, promesse attendue, mais – seule joie, te suivre, ce charme de la citadelle qui penche de tout le poids de son ombre, sans ciller jamais s’approcher, dans le contour des zones sombres du dedans, comme un pendule accroît sa fière obscurité.  

A propos de Françoise Breton

aime enseigner, des lettres et du théâtre, en Seine-Saint-Denis, puis en Essonne, au Cada de Savigny, des errances au piano, si peu de temps pour écrire. Alors les trajets en RER (D, B, C...), l'atelier de François Bon, les rencontres, les revues, ont permis l'émergence de quelques recueils, nouvelles, poèmes. D'abord "Afghanes et autres récits", puis en revues "Le ventre et l'oreille", "Traversées", "Cabaret", "La Femelle du Requin"... Mais avant tout, vive le collectif ! Création avec mes anciens élèves d'Aulnay-Sous-Bois de la revue numérique Les Villes en Voix, qui accueille tous les textes reçus, photos, toiles...

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