#40jours #prologue | dans le tube

C’est un portail, un tout petit portail avec des barreaux tout fins, la peinture est écaillée mais la serrure, large, est neuve et rutilante ; on y met des grosses clés carrées pour ouvrir la porte, assurément ; derrière, un terrain en friche, ça sent la ronce, les grillages rouillés et les parpaings qui s’amoncellent sur le terrain d’à côté et on voit une grosse tour ronde, en bas, il y a une porte à cette tour ronde et il y est expressément inscrit : Interdit Défense d’entrer Danger ; il y a un Algecco aussi sur le terrain en friche et des espaliers en béton qui gisent dans les hautes herbes, couchés sur le flanc – un algecco pour faire des bureaux, on est sur une zone artisanale, quelque part dans un village

− la zone artisanale s’appelle la zone des Roncettes, les ronces, c’était pour ça et on est en haut du village, presque sur une colline ; oh ce n’est pas la colline de Rougemont mais c’est assurément le point le plus haut de Saint-Avit-les-Monts, à mi-chemin entre la Beauce et le Perche ; pas vraiment la Beauce, pas vraiment le Perche non plus, c’est haut et c’est plat en même temps, il y a du dénivelé ; on est dans la vallée du Loir, ce n’est pas un fleuve, juste une rivière qui s’écoule paisiblement, enfin qui s’écoule… c’est vite dit ; qui s’écoule péniblement et ici on est en haut, sur la zone artisanale des Roncettes ; le Loir est en contrebas, dans la vallée

− Saint-Avit-les-Monts, c’est une commune qui s’articule sur un grand traversin, avec deux bourgs et une zone artisanale ; il y a la grande zone commerciale avec un hypermarché et des satellites autour qui se dépêchent de commercer avec le grand prêtre de la dissolution | c’est un monde dissolu, un monde qui se dissout dans le solvant des lubrifiants | on lubrifie tout : les sols, les parquets, les huiles, les moteurs, les piscines, les pompes à injection, les cylindres des grosses cylindrées, on lubrifie tout du sol au plafond parce qu’il faut que ça brille, alors on astique et on lubrifie avec du lubrifiant qui n’est pas très bon pour la santé

− derrière le cadenas sur la porte d’entrée de la tour ronde, il y a écrit « Interdit d’entrer, danger » avec un bonhomme prêt à être électrocuté, ça veut forcément bien dire quelque chose, si on interdit aux gens l’entrée d’une telle chose, c’est qu’il y a forcément un problème quelque part, mais quoi, où est le problème dans cette putain de boîte ronde, y a-t-on mis trop de lubrifiant, trop de solvants ou trop de mauvaises ondes qui pourraient faire partir les oiseaux sur une autre planète… pour l’instant, il n’y a pas âme qui vive, à part les camionnettes qui ont choisi de passer par là parce que ça fait un raccourci et qu’il n’y a pas trop de circulation, pourtant, c’est une zone 30 et on y roule à trente kilomètre/heure ; il y a des petits dos d’âne, enfin ce sont de petits boudins de goudron qui forment des vaguelettes sur le bitume en accordéon et rien ne va sur ce bitume, il y a de gros nids de poule, ça craquelle de partout, ça fait de grandes flaques quand il pleut et sur les bas-côtés, c’est de la terre mêlée à de la petite caillasse goudronnée | devant le portail, il y a de très grandes poubelles, des poubelles pour zone industrielle qui n’en n’est pas une puisque c’est une zone artisanale – enfin c’est ce que l’on croit et c’est ce que l’on fait croire aux autres

− sur la tour ronde, il y a une grosse antenne || on est sur la zone des Roncettes et autour, il y a des friches, des parpaings, des entreprises du bâtiment, des maisons construites là par hasard, des plombier, jardinier, une entreprise qui recycle les camions-frigos en vans pour les chevaux, une entreprise qui vend du fuel domestique au plus demandant, et tout un tas de petites ronces qui s’amoncellent sur cette zone qui traîne en longueur ; c’est un tube cette zone, un grand tube d’argent qui aspire la monnaie des honnêtes travailleurs car ils sont honnêtes ces gens – enfin c’est ce que l’on croit, c’est ce que l’on dit aux gens, c’est ce que l’on fait croire aux autres || la tour ronde, c’était un château d’eau avant, maintenant, il est désaffecté, on y a posé une grosse antenne de téléphonie mobile dessus, une antenne avec la 5G pour les mobiles de la nouvelle génération…

A propos de Elise Dellas

Court toujours. Ou presque... La retrouver sur son compte Instagram.

3 commentaires à propos de “#40jours #prologue | dans le tube”

  1. oh, quel dommage, avec un contenu aussi riche et précis, ne pas avoir tenté la phrase unique avec la révélation du lieu seulement à la fin via le :… ! un des enjeux de ce cycle ce sera aussi de malaxer la syntaxe, jouer avec pour faire surgir d’autres images !

    • J’ai changé en essayant d’améliorer, mais cette version n’est pas définitive, je pense

  2. J’ai été embarquée dans cette zone d’une région plate et haut-perchée, dans cette zone en démolition construction traversée de tant d’impression, j’ai envie d’en lire plus.