#40jours #18 | la maison rouge

Cheveux d’enfants emmêlés de mer de sable de soleil. Peaux rougies. Il faut rentrer. Il est tard. On rassemble seaux pelles râteaux serviettes empesées de sel pliants de plage. Démarche prudente de l’arrière-grand-mère sur la plage empêtrée de galets goémon trous dans le sable. La grand-mère lui tient la main ; la grand-tante veille à côté tout en jetant un œil aux filles.  Les enfants prennent de l’avance. Une fois rassemblée, la troupe repart. Depuis la plage de la Parée, remonter le bout de rue de la grande maison blanche géométrie offerte aux humeurs changeantes de la plage, lorgner l’Oursin, quincaillerie colorée devant laquelle les fillettes s’attardent avant de saisir une main ridée et glacée malgré la chaleur de l’été. Place Jean-Louis Joubert. L’arrière-grand-mère sourit. Il faut maintenant remonter toute la rue de la Parée. Odeurs de pins. Cris d’enfants. Vrombissement des voitures. Volets verts. Grilles en fer forgée. Jardin mystérieux qui cache une maison d’enfance. Volets bleus. Aboiements de chiens qui font sursauter la troupe. Cris et rires nerveux de l’aînée et de la grand-mère. La grand-tante se moque. Colonie de vacances. Espace en friche avec une pancarte : « Terrain à vendre ». Volets verts bleus rouges bleus surtout. Vaste maison dans un jardin-pinède. La table est dressée pour l’apéro du soir. La chaleur est retombée. Fenêtres ouvertes. Volets fermés. Une engueulade. Des serviettes qui sèchent. Un vélo sur le trottoir. Faire un écart. L’arrière-grand-mère est fatiguée. Il est temps de rentrer. La petite grille. Les herbes grillées. La maison rouge. Les filles font la course. La grand-mère sort la clé.

Vingt ans plus tard

Dehors, il fait déjà très chaud. Elle a mis la climatisation.  Sur le volant, les mains sont moites. Il fait pourtant frais à l’intérieur. Le corps tout entier se tend vers l’extérieur de l’habitacle dans une impatience anxieuse mal maîtrisée. Le chapelet de petites maisons basses – volets bleus, toits rouges, façades blanches — typiques de cette région de bord de mer, signale l’entrée de la ville. La ville a changé.  Certes, la mairie, l’église, le mini-golf… Mais le plan de la ville n’est plus tout à fait le même. On a ajouté des couloirs de bus, des pistes cyclables, des zones piétonnières, des ronds-points, on a modifié le sens de circulation de certaines rues. Des lotissements ont poussé.  Au bout, tout au bout, il y a la mer mais elle ne sait plus comment la rejoindre. Eviter la rue de la Parée. Saluer la mer avant tout. La plage de l’enfance avant la maison rouge. Pour retarder le moment. Il sera toujours temps de mettre le souvenir à l’épreuve du réel.  Avenue de l’Océan. Pas d’erreur possible. Elle se gare sur le petit parking de la Place Jean-Louis Joubert qu’elle a du mal à reconnaître. À peine a-t-elle ouvert la portière de la voiture que la ville la saisit, tout entière, dans son odeur fraiche et salée d’embruns, de varech et de grand large, comme un appel à rejoindre la plage, déjà. Elle ferme les yeux, sourit et respire la ville à pleins poumons. Elle est rentrée.

A propos de Émilie Marot

J'enseigne le français en lycée où j'essaie envers et contre tout de trouver du sens à mon métier. Heureusement, la littérature est là, indéfectible et plus que jamais nécessaire. Depuis trois ans, j'anime des ateliers d'écriture le mercredi après-midi avec une petite dizaine d'élèves volontaires de la seconde à la terminale. Une bulle d'oxygène !