#40jours #23 | descente express

Françoise Renaud© – Les Falguières, 2021

le haut du versant est impraticable sans machette, végétation dense épineuse, si possible mettre des bottes et des pantalons épais pour ne pas se faire griffer les cuisses, surtout quand on a l’intention d’aller tout droit, tout droit vers le point le plus bas où s’est développé le village, prospère à l’époque de l’exploitation des mines de plomb et d’arsenic, mais ça on ne le sait pas encore, on est à la recherche des vivants, on ignore où ils se cachent, forcément dans les zones luxuriantes où il y a de l’eau et où les vallées se rejoignent, pour le moment raffut dans les bosquets et bruit de sabots, sangliers dérangés par l’histoire qui vient de s’insinuer au cœur de leur troupe avec petits rayés et les a inquiétés sans doute, les laisser à leur panique, continuer tout droit en dépit des reliefs et s’emparer du talus suivant comme d’un toboggan avec l’espoir d’apercevoir des maisons, toujours rien, boqueteaux et maquis à perte de vue, flancs pierreux à transpercer pour ressortir de l’autre côté, se fabriquer ainsi des raccourcis avantageux en utilisant les galeries d’anciennes mines aux bouches empierrées devenues repaires à chauve-souris ou abris pour mammifères craintifs, déraper sur une friche couverte de cistes et de genêts à balai, enfin un mas bâti en hauteur comme un colombier : semble inhabité, portail déglingué, pas de chien, de là enfiler le chemin qui file sud-ouest — justement la direction qu’on s’est fixée —, banc en métal calé au bord tel un indice de zone peuplée — on est sur la bonne voie —, chalet rive gauche aux volets rouge foncé avec passerelle et traversiers aménagés, juste après le village avec passage de plus en plus étroit, presque passe à travers les maisons, à travers les cuisines et les chambres à coucher, caniveau central en calade pour réunir les eaux de pluie avant de se resserrer encore jusqu’à une petite place de forme étrange avec type en casquette qui fume assis sur un bout de marche — un peu le début de la civilisation —, pont en pierres, ancien négoce de graines — il y a encore la pancarte peinte en jaune et vert avec des arabesques —, statue de soldat d’une guerre ancienne, à peine le temps de croiser trois chats, une voiture ou deux et un gosse avec sa canne à pêche, tout de suite  se heurter à deux rangées de bâtiments aux façades noires, une troisième adossée au versant d’en face humide et très abrupt, fougères et châtaigniers, conserver suffisamment d’élan pour remonter jusqu’au ciel

tout là-haut c’est un autre désert, vieux hameau aux maisons en ruine dévorées par le lierre, un seul gars y vit seul avec ses chats, tout là-haut on voit le mont Lozère et le Ventoux, on voit la mer

CODICILLE
j'ai visualisé une descente toboggan d'un versant à l'autre... d'un désert à l'autre
entre les deux, dans le creux, il y a le village avec peu d'âmes
se rapprocher / s'éloigner 

A propos de Françoise Renaud

Parcours entre géologie et littérature, entre Bretagne et Languedoc. Certains mots lui font dresser les oreilles : peau, rébellion, atlantique (parce qu’il faut bien choisir). Romans récits nouvelles poésie publiés depuis 1997. Vit en sud Cévennes. Et voilà. Son site, ses publications, photographies, journal : francoiserenaud.com.

10 commentaires à propos de “#40jours #23 | descente express”

  1. Beau trajet, Françoise, et rude et escarpé.
    Tout droit en traversant le village… descente et remontée qui nous enveloppent d’un air aride.
    Merci à toi pour ton beau texte cévenol !!

    • et après après, quand on redescend des Falguières, on trouve que le village est comme la ville, trop « civilisée »…
      effet de contraste
      (j’ai un peu ramé quand même)

  2. Oh, oui, la promenade est belle, dangereuse, pleine de recoins que seul un guide expert peut faire découvrir. Et les animaux que tu enchantes si bien, même si là ils sont un peu effrayés. Merveille !

  3. ça sent la pierre, la pierre, les algues roussies, les orvets, les plantes sèches et bourracheuses, superbes – des pierres superbes sous l’orgie du soleil
    me fait penser à l’été de Camus

    • oh surprise que ta venue jusqu’ici, chère Françoise
      fais attention, c’est très escarpé !

      oui on est là dedans, et c’est l’époque des bourraches et plantes de la même famille qui poussent leurs hampes florales d’un beau violet au hasard des jardins
      soleil fort, pierre et pierre… pas facile d’aller tout droit !

  4. ( après une traversée haletante avec Fil) s’ouvrir à tes chemins rugueux dessus et dessous terre puis d’en haut voir loin . Beau.

    • toujours cette tentative de rester en prise avec le lieu, la ville pour moi devenue village, lieu de campagne de montagne entre vastes éminences
      toujours ton passage par ici si touchant… merci