#40jours #25 | Les souvenirs se portent bien

Jardin du Luxembourg

C’est au soleil couchant que le jardin retrouve enfin toute sa beauté, comme à la plage après l’heure de la baignade, au moment où tous les estivants rejoignent enfin leur logement de fortune laissant aux seuls résidents le luxe d’une plage rien qu’à eux. À cette heure-là, le sol poussiéreux autour du bassin central, et les pierres du Sénat se couvre d’une mince pellicule dorée qui permet enfin de lever les yeux au ciel. Mais en pleine après-midi, les jours de beau temps, on peine à avancer sans cligner des yeux, une poussière blanche soulevée par rafales régulières nous aveugle, on ferme les yeux, la main devant le visage pour empêcher le pire, une larme coule sur notre joue. La réverbération des marbres du pourtour, des balustrades du jardin, des statues, des escaliers et des murs du Sénat aveugle dans la lumière blanche de l’été. La pelouse impeccablement tondue, fraîchement rasée, laisse apparaître les larges traces de sa tonte, dessinant le motif à rayures. Le bassin aurait bien besoin d’être nettoyé, sa couleur vire au vert chartreuse. Il y a dans ce jardin l’été quelque chose de factice et d’ostentatoire des stations thermales, un luxe de fleurs bordant les parterres de gazon. Même l’architecture du Sénat ressemble plus à un château de campagne français qu’à un palais parisien, même si ses colonnes et ses pilastres, et la mise en œuvre rustiquée des bossages copient l’architecture italienne et trouvent leur inspiration directe du Palais Pitti à Florence. Le jardin est ailleurs, replié sur les bordures, le centre est là où les gens aiment traîner, se montrer, bavarder, lire sur les chaises et les fauteuils regroupés en petits îlots qui peinent à mettre du désordre dan ce jardin rectiligne. Les parents accompagnent leurs enfants pour jouer avec eux autour du bassin, ils ont été enfants avant eux et se sont amusés ici même avec leurs parents, poussant avec leurs longs bâtons en bois les coques rigides des bateaux aux voiles colorées, pour les éloigner du bord et attendre en poussant de petits cris de chiots effarouchés, en espérant qu’avec le vent et la poussée initiale ils reviennent bien comme prévu vers le bord dans un large mouvement oscillatoire qui rappelle la trajectoire fidèle du boomerang. En les voyant jouer, je me souviens de la chanson de Joe Dassin qui a bercée mon enfance : Là où cet enfant passe, je suis passé. Il suit un peu la trace que j’ai laissée, Mes bateaux jouent encore sur le bassin, Si les années sont mortes, Les souvenirs se portent bien. Autour du grand bassin, pas d’ombre, on brûle sous la chaleur estivale. Il faut monter les quelques marches qui séparent le jardin à la française avec le jardin l’anglaise pour trouver sur la terrasse ouest du jardin un peu d’ombre sous les alignement d’arbres. Une jeune femme s’est assoupie d’un sommeil lourd dans le renflement d’un fauteuil au dossier incliné vers l’arrière qui invite au sommeil. L’ombre a bougé avec le temps, la jeune femme n’est plus protégée par l’ombre de l’arbre sous lequel elle s’était installée pour le point de vue, une fois assise elle s’est vite rendue compte que la balustrade même ajourée l’empêchait d’en profiter comme elle l’espérait, mais il était déjà trop tard, elle avait la flemme de changer de place. Elle dort désormais en plein soleil. Non loin d’elle, près de la statue de Valentine de Milan, Duchesse d’Orléans, sculptée par Victor Huguenin, dont le marbre blanc resplendit sur le fond vert tendre des feuilles et le bleu du ciel, un couple de jeunes espagnols s’embrasse en gémissant des mots dans leur langue.

Jardin des Grands explorateurs

Ce jardin est un agréable espace vert qui s’inscrit dans la continuation du Jardin du Luxembourg voisin. Seules les hautes grilles de fer forgé de la Porte Observatoire qui clôturent l’enceinte du jardin au niveau de la place André-Honnorat, indiquent qu’il s’agit d’un jardin différent. Les alignements de marronniers plantés au bord de la pelouse centrale prolongent les lignes de fuite et renforcent la perspective du Jardin du Luxembourg dessinées par leurs trajectoires rectilignes soutenues par une suite de colonnes et de groupes sculptés figurant divers moments de la journée : l’aurore, le jour, le crépuscule, la nuit. Ce n’est pas vraiment un jardin plutôt une platebande verte toute en longueur, dont les grandes pelouses sont accessibles au public, son atmosphère plus intime et à taille humaine que son proche voisin, attirant principalement les étudiants des facultés voisines. À l’extrémité du jardin, en direction de Port Royal, la superbe Fontaine Carpeaux, appelée également Fontaine des Quatre-Parties-du-Monde, a été construite entre 1867 et 1874, une œuvre collective réalisée par plusieurs grands sculpteurs Français, dont Gabriel Davioud et Jean-Baptiste Carpeaux. Tout au long du parc une multitude de statues de marbre blanc offrent une imposante perspective en direction du Jardin du Luxembourg. Les bâtiments qui bordent l’avenue méritent une attention particulière. La faculté de pharmacie de Paris, bâtiment de brique et pierre de taille, l’Institut d’art et d’archéologie, rare exemple d’édifice parisien de l’Entre-deux-guerres d’inspiration historiciste et éclectique, mélangeant des influences siennoise, florentine, mauresques, voire subsahariennes. Son ossature en béton armé est revêtue de briques rouges. À l’intérieur de la faculté de Pharmacie, avenue de l’Observatoire, un insolite jardin qui bien que caché se visite librement, le jardin Botanique de la Faculté des Sciences Pharmaceutiques et Biologiques, où l’on peut observer rosiers, papayer et cotonnier. Le Jardin abrite en plus des variétés médicinales ou toxiques un grand nombre de plantes et d’arbres d’exception. Le système d’arrosage en bordure de pelouse n’asperge par moments qu’une infime partie de la surface envisagée. Il arrive parfois qu’il se détraque ou qu’il se bloque en direction d’un banc à proximité du jet d’eau, ou du socle d’une statue, qu’il éclabousse, dans l’indifférence des badauds qui ne remarquent même pas que la nuée de gouttelettes d’eau qui perlent en suspension dans l’air fait apparaître un arc-en-ciel éphémère.

A propos de Philippe Diaz

Philippe Diaz aka Pierre Ménard : Écrivain (Le Quartanier, Publie.net, Actes Sud Junior, La Marelle, Contre Mur...), bibliothécaire à Paris, médiation numérique et atelier d'écriture Comment écrire au quotidien : 365 ateliers d'écriture, édité par Publie.net http://bit.ly/écrireauquotidien Son dernier livre : L'esprit d'escalier, publié par La Marelle éditions Son site : Liminaire