autobiographies #03 | d’arbres sans fin

            il y a le freluquet d’en haut. petit chêne ne s’est jamais résolu à grandir. s’est arrêté un peu plus haut qu’une taille d’homme ou bien c’est la lame du souvenir. Toujours les feuilles sont rares maladives et rousses ça se voit d’autant à contre-jour du bleu, tordu entre bleu et vert plutôt, le trait noir du tronc malingre et la main dépenaillée des branches, ongles fins bifurquent et partent en coups de griffe désordonnés. c’est un vrai chêne ou bien le souvenir ? il n’a pas eu besoin de grandir. sur son talus il domine les sapins altiers plantés trop serrés en contrebas – on plante toujours trop près, pressé de combler l’espace vide. ça devient terre écaillée d’ombres, marée d’épines glissantes, surtout là que ça grimpe raide – dominerait aussi le toit de tuiles rouges si une trouée permettait, toise la colline d’en face, le cratère d’obus quand ça bombardait approximatif l’usine du bourg au lointain bout de la rue (mais l’arbre n’était pas encore né), au-dessus le cube blanc de l’immeuble en clous de lumière quand le soleil. ne paie pas de mine dans ce pays de collines rondes, d’acier et de charbon, n’a ni prestance ni autorité de celui sous lequel siègent les rois, poussé là on dirait par inadvertance, donne une idée de l’obstination déraisonnable, là-haut en plein vent et bouffées de nuages, s’accroche. on y arrive essoufflé d’avoir couru dans les rêves encore, et crié l’un pour rattraper l’autre. il marque une limite : à son signal l’ultime petite butte à peine une enjambée à crapahuter, et puis le plat, on dit le plat : c’est quand le rectangle d’herbe est posé parallèle au ciel juste derrière lui, le chétif. on est arrivé tout en haut, on le sait, on s’ouvre un repos, on se couche dans l’herbe, haletants, le cœur rame profond dans la terre et sa petite cage de racines.

le malingre est trompeur par discrétion. rien n’attire à lui d’évidence facile mais c’est lui qui tapisse les images : celles de papier et celles des ondes de mémoire, on ne sait pas dire les mélanges de matières. le fouillis d’auréole la tache mouvante derrière le père venu en haut anticiper sa dernière mise en boîte, ajouter que toute la vie c’est dans les boîtes et toujours comme ça jusqu’au finir. le chœur des feuilles frissonne indifférent à la tragédie simple, l’ordinaire incessant tremblote dans l’air anodin. c’est lui le palpeur de silence, l’impressionniste à dominante rouille inaltérable. l’autre fois on voit l’enfant (petit. ne marche pas.) dans les bras, les jambes pendant nues sous le sourire, la tête droite bien tenue sous le bob champignon, les yeux froncés du soleil, le berceau de l’avant-bras protecteur, sa racine solide quitte la manche bleue retroussée au-dessus du coude. là le tourbillon de branches et broussailles entremêlées, l’ombre des feuilles dentelées sur le front bronzé des cheveux blancs.

un jour d’écobuage il a bien failli brûler, le feu poussait ses rigoles lançait ses fissures de noir et rouge, crépitaient ondoyaient se rejoignaient repartaient encerclaient. à coups de branches rêches de genêts il a fallu écraser ses têtes, les broussailles ont crié des flammes, le tronc a noirci derrière la vibration de fumée c’est peut-être de ce jour qu’il a arrêté de grandir ou bien c’est le souvenir.

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             ici tout le long du sentier côtier de longs couloirs d’ombre et d’aiguilles où les pins poussent leurs croche-pieds de phalanges noueuses. Derrière les épines noires du bleu mélangé d’émeraude, une odeur vague d’automne

            un presque déraciné à l’aplomb de sa chute pourtant résiste, s’accroche étreint le roc comme enserrer la proie de l’aigle

            des kilomètres et des kilomètres de réseaux racinaires les cheveux de la terre et ma tête trop étroite pour le monde

            au pied des platanes bosselés l’anneau de fer arène des osselets. l’enfance grise accroupie au pied des feuilles, une pâle couleur d’urine froissée

             dans la cour de la maison un saule pleureur arrêté lui aussi de grandir derrière ses filaments retombants de méduse. les nouveaux habitants l’ont abattu pour faciliter les manœuvres de voiture. l’alphabet des arbres celte dit saule et mélancolie

             la vigne est-elle un enfant-arbre agrippé à ses lignes de fer ? et le brûlot craquant des sarments dans l’âtre ? quelle lettre signée au bout de la branche ardente égratigne la nuit de suie ?

            les cœurs d’initiales dans la peau de l’arbre, cicatrices irréductibles. douleur muette  demeurer sous la lame sans rien que lentes larmes de sève et tresser en terre les cordes humides de racines anonymes.

ô masque d’écorce – grimace – je vois ton cri.

5 commentaires à propos de “autobiographies #03 | d’arbres sans fin”

  1. lu à haute voix. tout simplement superbe. longue vie au malingre. excusez la banalité du commentaire. Cordialement bravo.

  2. Toute la deuxième partie du texte m’a complètement interpellée. Beauté des images, des mots, ces quelques lignes courtes sont si fortes, si claires, petits récits brefs et prégnants. Merci bien, bon dimanche.