autobiographies #03 | nous les arbres

Nous les arbres, nous les pins secs ombrons le sol sablonneux, nos aiguilles s’épandent en champs tièdes et immobiles sous l’air menaçant, l’éclat brut du jour perfore nos cimes, se pose en taches claires à nos pieds, illumine en dansant le piétement métallique d’une table de camping, un terrain de pétanque improvisé, le front d’une fillette alignant les pelotes de mer qu’elle a glanées sur la plage. Nous nous accoutumons à la présence joyeuse de ceux-là, leurs pique nique bruyants, leurs cafés noir, leurs parties de cartes. Nous écoutons les secrets chuchotés derrière nos troncs roux, pouvons même nous attendrir quand la petite nous étreint dans ses bras menus. Mais nous les pins centenaires préférons la magie des flamants rompant le ciel. La vigueur du soleil. L’obstination des fourmis. L’air salin soufflant dans nos rameaux. La brûlure du couchant. L’envoûtement du soir. Le glissement furtif des oiseaux de nuits. Nous les pins courageux nous nous ancrons dans le sable en racines longues, sais-tu ce qu’il y a de racines dessous le sable, de mélancolie enfouie. Nous veillons. Nous nous demandons souvent par quel miracle nous avons échappé au feu. Nous les pins prétendument timides sous la caresse du vent, nous chantons, nous résistons aux tempêtes, combien de temps encore ? Réserve naturelle. Inondable. Remarquable. La mer. Oui, la mer toute proche, sa langue mystérieuse encore assourdie, méfions nous. Bientôt nous entendrons le fracas des vagues, bientôt la mer sera à nos pieds après avoir englouti la plage. Les jardins s’écrouleront, les sages pins parasols — nos frères — tomberont de tout leur long au pied des maisons, il y aura des branches sur les toits. Les villas arrogantes seront ravagées, emportées. Nous les grands pins nous dresserons devant les vagues ahuries, cramponnés à nos racines profondes. Ce sera un bien étrange duel.

A propos de Caroline Diaz

Née un 1er janvier à Alger, enfant voyageuse malgré moi. Formée à la couleur et au motif, plusieurs participations à la revue D’ici là. Je commence à écrire en 2018 en menant un travail à partir de photographies de mon père disparu, aujourd'hui c'est un livre, Comanche. https://lesheurescreuses.net/

21 commentaires à propos de “autobiographies #03 | nous les arbres”

  1. merci cher Anh Mat, touchée que le premier écho vienne de vous, impression qu’il y a quelque chose d’un peu bancal

  2. suis venue ‘(abandon honteux de mon programme mais crâne trop vide pour mettre mots sur ce que dit mon arbre – qui aurait pu mais n’est pas un pin) trouver élan ici et en fait ai trouvé des arbres qui parlent vraiment et pas des humains aimant un arbre. Bravo ! et je reconnais bien leur sagesse bienveillante

    • Merci Brigitte d’être venue à l’ombre de ma pinède (au sud de Bastia), c’est ce que j’ai compris de la consigne (peut-être à tord), qu’il fallait leur donner la parole…

    • Merci Muriel, il y a bien à se plonger dans ces réminiscences d’enfance quelque envoûtement

  3. Pfff la classe comme toujours Caroline. Je commence à attendre tes textes à chaque proposition à présent ! Fais gaffe je crois que tu es en train de développer une sacré base de futurs lecteurs à force ! C’est tout ce que je te souhaite ! En tout cas merci pour tes mots qui résonnent encore longtemps après l’écoute et la lecture.

  4. @Louise, @Irene, @Camille,@Nathalie, merci merci, vraiment touchée par tous ces retours, je vous lis, n’arrive plus à commenter, happée par les chantiers ouverts, bonnes écritures !!!