autobiographies #03 | le patriarche

Les plus jeunes, les plus fins rameaux, ceux qui ploient sous les olives presque mures cueillent l’odeur de la brise de mer qui court sur la petite plaine, la survole vers la colline et vient les secouer doucement sur la terrasse d’où l’arbre, le patriarche, domine le paysage. De la souche énorme s’évasent quatre ou cinq troncs tourmentés portant sur leurs grosses branches sinueuses des boules massives de petites feuilles bien serrées qui ondulent à peine, jouant à faire chanter leur vert sombre et leur argent devant l’orchestre des arbres quinquagénaires chargés de fruits où trois jeunes plants mettent des notes aigües. Sombre et dense bijou baroque à la peau crevassée, seigneur incontesté qui n’a plus besoin de rivaliser avec l’abondance des fruits offerts par ses cadets, il domine la large terrasse où est plantée cette vieille maison carrée qui a succédé à celles qu’il a connues, au dessus du jardin et des vignes qui dégringolent jusqu’à la petite route. Sur le socle de ses racines qui s’étendent en couronne et des radicelles qui plongent sous la couche de terre sèche pour pomper avidement l’humidité secrète, il parle du temps, de la permanence, il se souvient des dryades qui habitaient ses parents, il parle de l’amour des humains qui jadis, on ne sait plus exactement quand – on évoque quatre cents ans mais cela pourrait-être davantage, ou un peu moins – ont veillé sur le jeune plant qu’il fut, il dit les tempêtes et les étés brûlants, une succession infinie de printemps, de petites fleurs sauvages l’entourant, il chantonne le discret petit pointillé blanc dont il se paraît, il dit les hommes et les femmes le soignant, célébrant la richesse des fruits longs et lourds, disparaissant dans l’oubli du temps, remplacés par d’autres. Il est le sage, l’ancrage de ce coin de paysage, l’indispensable, et le sourire qui accompagne les vœux qui lui sont adressés n’est là que pour masquer avec pudeur la crainte de ce moment où il ne serait plus, où tout ce réel qu’il incarne se dénouerait, mais pendant que les années passent il reste là, accueillant avec une majesté intacte les hommages et l’amour de ses fragiles compagnons humains.

Codicille : je n’ai pas ou plus d’image de cet olivier, alors, même si aucun olivier ne saurait ressembler à un autre olivier j’ai posé ici l’image d’un des oliviers du jardin du Fort Saint André, qui, pour certains, ont atteint un âge semblable.

©Brigite Célérier – Villeneuve lès Avignon

A propos de Brigitte Célérier

une des légendes du blog au quotidien, nous sommes très honorés de sa présence ici – à suivre notamment, dans sa ville d'Avignon, au moment du festival... voir son blog, s'abonner, commenter : Paumée.

8 commentaires à propos de “autobiographies #03 | le patriarche”

  1. merci à vous (comme les chênes — enfin ici ils sont petits et roux — les oliviers portent beaucoup de vies et de temps et espérons le de riches olives sauf mon petit olivier fou)

  2. Magnifique phrase de Camille pour votre texte, je ne trouverai pas mieux. Et ce qu’on en retiendra de sagesse, conseil donné par l’olivier « pendant que les années passent il reste là, accueillant avec une majesté intacte les hommages et l’amour de ses fragiles compagnons humains ».