#L4 | Eux par ordre alphabétique. Parmi tant d’autres, choix impossible, presque de hasard

Édith Azam, je l’ai rencontrée dans un atelier de Terres d’encre, elle m’a subjuguée par sa jeunesse, sa folie, sa façon à elle de creuser le langage, à la recherche du sens de la vie, de la mort, de l’amour… Écrire, pour faire barrage aux violences du monde, poser des mots sur l’incompréhensible, inventer une ligne d’horizon, de fuite, ou de partage. Écrire : une ligne de vie. Poétesse dérangeante.

Russel Banks, impossible de citer un de ses livres en particulier, j’aime tous ses romans, oui, peut-être une tendresse pour son recueil de nouvelles Un membre permanent de la famille, qui est plein d’humanité. Et bien sur, Patten à Patten, pour une raison très perso, les photographies des habitants de Patten incluses dans ce livre nous ont servi de support en atelier d’écriture pour écrire un roman collectif Ceux de Patten.

Chamoiseau, tous ses livres aussi, mais ce coup au cœur à la lecture de À bout d’enfance où l’auteur part, entre nostalgie et tendresse, à la rencontre du petit négrillon qu’il fut, ni bon, ni mauvais, fait d’ombres et de lumières, sa découverte de l’ordre et du désordre du monde, et son étonnement devant l’existence de créatures étranges, les petites-filles, qui vont bouleverser sa petite vie ! Sa mémoire est défaillante : Aller, en devenir, dans l’estime toujours : le regard en inventeur du beau. Seule permanence possible.

Cortazar, près de moi, le quarto Gallimard, Nouvelles, histoires et autres contes, le plaisir immense de regarder l’Axolotl évoluer dans l’aquarium, de me projeter en lui, de rire à la lecture de son Manuel d’instructions,celles géniales sur la façon d’avoir peur. Je le sais : on vend des livres avec une page blanche glissée au milieu des autres. Si je débouche sur cette page quand sonnent trois heures, je meurs ! Je baigne dans le fantastique, dans le merveilleux du quotidien, la folie et l’absurde. 1415 pages de poésie et d’humour.

Marguerite Duras que j’ai découverte, il y a bien longtemps, avec Le barrage contre le Pacifique, que je n’ai plus quittée, happée par sa voix, ses mots qui disent la solitude absolue, l’enfance trahie, la jouissance, la liberté, la douleur, l’attente, le désir. Magie de son théâtre : Des journées entières dans les arbres, Madeleine Renaud de surcroît. Ses films. D’elle, tout. Elle qui écrit : À mesure que j’écris, j’existe moins. De la lire, j’existe.

Annie Ernaux, pour tous ses récits dans lesquels je me suis retrouvée, j’aurais pu les écrire. Merci. Elle rejoint Chamoiseau ; dans La Place, elle se reconnaît narratrice venue du « monde dominé » appartenant au monde dominant, transfuge de classe. Son Écriture comme un couteau, écriture plate, ancrée dans le réel, violente. Écriture comme une arme, un acte politique, tout le contraire d’un « travail sur soi ». Entre littérature, sociologie et histoire.

Guillevic et L’art poétique, il parle aux groseilles, au rossignol, aux menhirs, à la paroi, nous donne en partage son royaume de silence, ouverture sur le monde, des poèmes comme des éclairs, courts, où s’écrit l’instant, du blanc dans la page, sortes de haïkus, Voir, tout est là… simplement voir… Vivre en poésie. Écrire : Si je n’écris pas ce matin / Je n’en saurai pas davantage // Je ne saurai rien / De ce que je peux être.

Nasr Eddin Hodja pour Ses sublimes paroles et idioties. Jaime les lire à voix haute à mes amis, petits et grands, joie du rire partagé, subversif, malicieux, entre vrai et faux, entre intelligence et bêtise, jeu avec l’absurde qui devient une arme contre l’adversaire. Atteindre la sagesse en passant par la folie.

Kafka, son Journal, La lettre au père, La métamorphose, ses lettres et tous ses autres livres. Oui, que la littérature soit la hache qui brise la mer gelée en nous. En plein accord avec lui quand il écrit : Il me semble d’ailleurs qu’on ne devrait lire que les livres qui vous mordent et vous piquent. Si le livre que nous lisons ne nous réveille pas d’un bon coup de poing sur le crâne, à quoi bon le lire.

Stephen King pour ses livres qui me distraient parce qu’ils jouent avec mes peurs, Shining , isolement et folie, le mal qui rôde, l’alcool, une famille détruite, suivi par le film de Stanley Kubrick avec Jack Nicholson, terrifiant. Histoire de Lisey, roman fantastique et d’horreur, histoire d’amour où il est parlé de deuil, de folie ou de génie. Sans oublier son Écriture : Mémoire d’un métier et son premier conseil : pour écrire, lire beaucoup !

Maram al-Masri, Elle va nue, la liberté, poèmes d’amour, de révolte, de douleur, poèmes-hommage aux victimes de la guerre en Syrie, appel à la liberté. Arrêts sur image :

« L’avez-vous vu ? Il portait son enfant dans ses bras et il avançait d’un pas magistral la tête haute, le dos droit. Comme l’enfant aurait été heureux et fier d’être ainsi porté dans les bras de son père. Si seulement il avait été vivant. »

de Mordecai Richler, Solomon Gursky, un pavé, 636 pages, saga familiale, je m’y suis perdue, noyée, j’ai adoré, c’est un tourbillon, perte de repères, voyage dans le temps et dans l’espace, dans l’histoire, au risque de perdre pied dans la galerie des personnages improbables, canadiens, de l’Alaska et de la vieille Europe, protestants, juifs, escrocs, peureux, bourgeois, inuits convertis au judaïsme, vengeances et trahisons, de surcroît un corbeau maléfique et l’ombre de Solomon Gursky qui plane, obsédante.

Annie Saumont, ses nouvelles, toutes sans exception. Elle passe le quotidien au scalpel, le décape, montre ce qui dérange, déraille, ce qui est barge. Un geste simple peut faire basculer une vie. Une phrase de trop, presque rien. Dans une langue minimale, une grammaire approximative, l’emploi des mots de tous les jours, elle raconte des horreurs comme si, non, elles n’en étaient pas, avec pudeur, en quelque sorte. La première nouvelle que j’ai lue d’elle : Moi, les enfants j’aime pas tellement. Elle nous provoque, non ?

Virginia Woolf pour toute son œuvre. Les vagues, La promenade au phare, Les années : capter la beauté, le temps qui passe. Son Journal. Et Une chambre à soi, livre visionnaire où elle énonce sa conviction (avec des si) : si nous (les femmes) vivons encore un siècle environ… et que nous ayons toutes cinq cents livres de rente et des chambres qui soient à nous seules, si nous parvenons à échapper au salon commun et à voir les humains non pas seulement dans leurs rapports les uns avec les autres, mais aussi dans leur relation avec la réalité, et aussi le ciel et les arbres… si nous acceptons qu’il n’y a aucun bras auquel nous accrocher, si nous marchons seules… nous serons nous-mêmes, libres.

Ito Ogawa nous parle d’amitié, de transmission, d’amour, de pardon, nous ouvre la porte de La papeterie Tsubaki, dépaysement assuré, temps suspendu des simples plaisirs quotidiens, merveille de la calligraphie japonaise, difficulté d’écrire pour les autres dans le choix des mots,

du papier, de l’encre… tout est important dans une lettre. Alors, écrire une lettre de rupture !

Et puisque je termine sur une auteure japonaise, dire combien j’aime les haïkus, et celui-là de Kobayashi Issa :

Tous en ce monde
Sur la crête d’un enfer
À contempler les fleurs !

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