#photofictions #04 | Accepter la photo ratée

le pêcheur de crabes photo DGL

Cette urgence que l’on ressent parfois à prendre une photo, pour un détail, un contexte, la joie de l’évidence et de l’extraordinaire plaisir à être en vie et à voir, tout simplement.

Lui, je l’ai vu sortir d’une voiture conduite par deux jeunes gens, au bord de la mer que je longeais en cherchant une ambiance de pêcheries et en me demandant quel goût pouvaient avoir les coquillages grandis en face de Fos-sur-mer. Ah ! ce récipient bricolé dans un bidon en plastique découpé, attaché autour de son cou par des ficelles , il fallait que le saisisse ! Ce short aux fleurs hawaïennes et cette vaste épuisette qui n’en était pas à sa première sortie. Ses compagnons, ses fils peut-être, avaient garé la voiture, bien plus sobres mais infiniment moins intéressants et moins pressés de se mettre à l’eau. Ils venaient tous les trois pécher les crabes pour appâter la dorade ou le loup. Pieds nus, il s’est avancé pour racler le sable au fond de l’eau. Il n’y avait pas encore de crabes, trop tôt dans la saison à la mi-avril. Ils iraient essayer ailleurs. Ce fut ma chance ! De lui parler et de faire l’image. Dans ma précipitation, j’ai mal cadré et coupé les orteils du pied gauche. Maintenant, il est là, il me regarde écrire au mur de mon bureau en 1m x 2 m. J’aime les grands tirages sur papier affiche. Sa silhouette un peu empâtée, son bon sourire et sa présence simple me rejouissent chaque jour. Il ne plaît pas à tout le monde, mais quand je l’ai exposé plusieurs personnes se sont fait photographier en sa compagnie.

Pour une bonne fortune, combien de photos ratées, de refus ou de poses figées, raidies, non naturelles. Trop près, trop loin, sur ou sous-exposée, mal cadrée, floue, encombrée d’un détail mal venu, anecdotique, déjà trop vu. Combien de photos ratées ! Même si tout est automatique et qu’il n’y a qu’à appuyer sur un bouton, les réussites sont rares. C’est en triant le soir ou les jours suivants qu’on découvre ou pas que la grâce a soufflé et que l’image est là. Un peu comme en écriture.

A propos de Danièle Godard-Livet

Raconteuse d'histoires et faiseuse d'images, j'aime écrire et aider les autres à mettre en mots leurs projets (photographique, généalogique ou scientifique...et que sais-je encore). J'ai publié quelques livres (avec ou sans photo) en vente sur amazon ou sur demande à l'auteur. Je tiens un blog intermittent sur www.lesmotsjustes.org et j'ai même une chaîne YouTube où je poste qq réalisations débutantes. Voir son site les mots justes .

10 commentaires à propos de “#photofictions #04 | Accepter la photo ratée”

  1. Bonsoir Danièle
    Comme tu le dis justement, la grâce souffle ou pas. Ici, c’est le cas pour ton texte et pour ta photo bien sûr !
    Merci.

  2. il a l’air de te connaître et même de nous connaître, tellement il est là, présent, à l’aise, naturel. L’image en 1mx2m ??? ce doit être impressionnant, tu l’as fait imprimer chez des professionnels? Merci pour ton texte et la rencontre avec cet homme

    • Merci Cécile. Imprimé dans une entrprise qui travaille plutôt pour les catalogues industriels, moins cher que les vrais tireurs de photo (pardon Juliette). les photos on en vend encore moins que des livres !

  3. Elle est attachante cette histoire. Je me suis demandée en lisant si c’était une fiction. En commentaire tu expliques que non.
    Il y aurait une fiction étonnante à écrire à partir de cette situation : imprimer en taille réelle le pêcheur de crabe. Merci, quelque chose très vivant dans ce texte.

  4. pêcheurs de crabes… et pas de crabes… ils iraient ailleurs…
    Prendre des photos, écrire des textes, hasard et travail. Georges Sand disait un truc du style les chefs-d’oeuvre ne sont que des tentatives heureuses. Merci pour ce cliché, cette anecdote qui mène à une réflexion.

  5. Binjour Danielle,
    Au coeur du procédé, là, on est le petit crabe, et on est chipé, ça vibre et orteils ou pas, le hors- champ d’hommes sans intérêt ( d’image), et l’image de l’image derrière vous – là où le texte agit – révélateur !