autobiographies #04 |  «un fond de tiroir»

Ce douze octobre 2021, elle découvre, ahurie, tout simplement au fond du tiroir où il s’était coincé cet agenda, treize ans après sa mort, celui qu’il a cherché partout. Il l’avait toujours sur lui, incompréhensible cette perte. Elle le feuillette, sans plus, la plupart sont des contacts de travail.

Ah! Borin, mais c’est le Médecin de famille, le fameux Docteur Borin, il est venu souvent rue Voltaire à Saint-Etienne. C’est le quartier Badouillère, vieux souvenir cet appartement, elle entend encore le tintement de la clochette du tram toute la journée. Il venait dès qu’on l’appelait, coiffé en brosse, l’air sévère mais ne l’était pas. Elle repense aux accouchements, son attitude posée, sérieuse plaisait à la maman étendue dans le lit, dans l’alcôve de la salle à manger. Un appartement en rond, comme ils disaient, la cuisine donne sur la salle à manger qui donne sur le couloir qui donne sur les chambres, tout lié, tout ouvert. Les enfants allaient et venaient partout jusqu’au moment où le père disait Allez, c’est bon, dans votre chambre maintenant. La sage-femme prenait la suite en main au milieu du bruit et de l’odeur de la soupe de poireau. Il faisait sombre, toute la journée la lumière était allumée. Jamais de soleil ni de coin de ciel bleu dans ce rez-de-chaussée. Le père devenu lointain et amer au fil des accouchements, le troisième là, est toujours prêt efficace et tendre dans les moments les plus durs. C’est le fil trop tranquille des jours qui l’use,

Morand, Evelyne. Née à Caen, rue Basse. Entre parenthèses, Vernon, Eure. Elle cherche un moment, Vernon, c’est là où il est allé à l’école d’éducateurs, il parlait d’un couple d’amis? Oui, éducateurs tous les deux, c’est ça, morts tous les deux maintenant. Il lui avait raconté : Ils s’étaient connus dans le premier IMP, suivis dans un deuxième puis un troisième, c’est elle qui lui avait parlé la première de Madame Borel-Maisonny, à l’origine de l’orthophonie, elle a encore le livre chez elle « Langage oral, langage écrit ». C’est elle qui lui avait appris le plus, il la revoyait dans sa salle de classe, pas plus de dix enfants, dix bureaux à l’ancienne, mais dispersés dans la pièce, elle allait et venait entre les enfants qui eux aussi, allaient et venaient, chacun occupé ou dispersé, pas une classe qu’on avait imaginé, avec des enfants sages…ils-elles étaient des enfants avec un handicap mental et elle donnait à chacun là où il-elle en était. Une classe pas tranquille, mais heureuse.

Ferrier Henri et Jo. Elle a mis du temps à trouver, a cherché sur internet, voilà, mais résidence Chavanelle, elle a perdu son mari et elle est déjà âgée, à ce point ? elle appelle et une dame charmante répond, demande qui je suis, et bien venez, oui quand vous pouvez. Ce sera huit jours plus tard. Elle traverse le long couloir ciré, on dirait un pensionnat, toque à la porte : Oh comme elle est vieille! quatre-vingt dix-neuf, elle me dit. « Je suis contente d’être là, je vais comme je veux, je sors souvent ». Sa voix est juvénile, elle est enjouée, Rien, elle n’a rien gardé de ses meubles anciens bien cirés, de ses chaises Henri II avec assise en cuir, mais une table actuelle grise très sobre, des chaises style scandinave grises aussi, un paravent chinois très finement décoré en rouge et noir qui sépare le coin cuisine de la pièce où nous sommes. Par la fenêtre ouverte, la vue est reposante, au milieu des petits immeubles, un rond-point miniature, on surplombe de grands platanes. Elle est chez elle, au mur, deux aquarelles, « ce sont les miennes, mais je ne peins plus ».

4 commentaires à propos de “autobiographies #04 |  «un fond de tiroir»”

  1. C’est vrai, D’ici dimanche, j’aurai écrit le #3 des arbres, pour apprécier le zoom de lundi. Je voudrais bien écouter votre lecture de Sebald, il est bien ce format 30 minutes.

  2. Ça tombe bien, Brigitte, votre commentaire. Là, c’est l’arbre qui me donne du mal! Merci.