autobiographies #06 | by night

constatant que le jour s’amenuise, au gris uni du ciel par exemple, mélangé à celui de la route, une départementale sans doute, parce qu’étroite, tandis que presque sous les pieds court le trait du fossé collé à sa bosse d’herbe, (peut-être aussi une sorte de butte fait gros dos noir en sortie de village – le nom est oublié, c’est en Provence) la fraîcheur arrive avec les poussées de nuit (le relief s’estompe, l’uniformité gangrène lentement et sûrement depuis le sol,) des frissons, un début d’inquiétude : où dormir en rase-campagne ?- les mots du père reviennent racontant ses anciens périples à pied, 40 kms par jour, et le soir couché dans le foin chez les paysans de fortune – bien finie cette époque ! – se demandant comment ça va tourner cette affaire à poireauter sans succès, le sac à dos en toile beige et sangles de cuir abandonné par terre , le pouce levé chaque rare fois que, mais plus le temps fuit plus ça va devenir compliqué, c’est une certitude : l’augmentation de la méfiance est corrélée à la diminution du jour, (étrange renaissance que cette silhouette longiligne, la veste type trappeur à gros carreaux en nuances de vert enchevêtrées, la tignasse frisée en large auréole (provoquait l’admiration féminine), la moustache fine et le bouc, pareil que sur la photo noir et blanc du permis, mais sur celle-là avec le foulard indien noué autour du cou et le treillis recyclé de l’armée, (derrière tracé en noir le crâne entouré des grosses lettres peace and love, oxymore et dérision – la photo exhibée 30 ou 40 ans après : « toi  ? –, putain incroyable on dirait pas ! ») ; en tout cas maintenant une voiture en approche, rapide, bien lever le bras, le pouce, dépasse à toute allure, freine quelques dizaines de mètres plus loin dans un déchirement de pneus, craquement de vitesse, recule, ramasser le sac, le jeter sur l’épaule, ballotant, course vers la bagnole, assez grosse, mais dire laquelle, sombre longue et plutôt basse ? – des jeunes, quatre ! – une mini bande joyeuse, un foutoir : canettes de bière, sacs plastiques, sacs de chips, des papiers gras en vrac partout, du bordel, de l’agitation, ça rigole, tu vas où ? – Lyonon t’emmène allez grouille, lui a ouvert la portière de l’intérieur, se recule, fait place alors montant sautant presque dans la caisse, le sac fourré coincé entre la banquette arrière et le siège devant, à peine le temps de refermer et c’est reparti à toute berzingue, se disant quand même drôle d’ambiance !- mais soulagé aussi plus être planté sur ce bord de route en bord de nuit, rassuré en quelque sorte même si l’équipée est un peu folle – tiens prends une bière et tape là-dedans si tu veux bouffer, pas de souvenir de conversation particulière sauf les commentaires du jeu de massacre à la traversée des villages, maintenant sous perfusion de lampadaire : la vitre baissée côté passager, d’un coup l’entrée du frais, les rafales de frais, un tourbillon de frais dans l’humide obscur, lancer de canettes vides en visant les vitrines (bruit de fer blanc rebondissant) rires, putain t’as vu, de nouveau la vitre, la moiteur, la main fine change les vitesses au volant, vrombissements nerveux de la caisse, rires encore – histoires, pas de souvenir précis, autour le noir, parfois des feux croisent, ils parlent rigolent, somnoler à moitié pour être un peu de côté, un peu oublié, (un peu louches pas trop se mêler), ça continue des plombes sans trop d’inquiétude juste par intervalles l’étonnement de ce drôle de bazar, des doutes en approche furtive, mais tenus à distance, façon répit de quand le moustique s’éloigne, alors de nouveau repos tactique de la tête contre la vitre (vibrations du moteur – une berceuse fredonnée tout doux), parfois le bruit de fond de la conversation rare, le craquement des chips dans les bouches, l’ouverture d’une nouvelle canette et l’odeur de bière tiède, filant maintenant à toute allure devant la station TOTAL nappée de jaune, les pompes alignées sous l’abri rouge et blanc, la caisse et le petit magasin en face, rayons déserts et tristes derrière les baies vitrées, personne non plus sur l’esplanade, ralentir faire demi-tour revenir en direction de la station, mais un peu avant arrêt brusque dans l’obscurité : le conducteur descend se dirige vers l’arrière, prend un objet dans le coffre, cognements, secousses, c’est devenu calme soudain, sans parler, juste le moteur grommelle au ralenti et plus loin la station sous sa cloche de silence ; un dernier coup sec le conducteur de retour au volant, repart, s’arrête à côté des pompes, va tranquillement se servir (choc sourd du pistolet décroché puis enfoncé brutalement dans l’ouverture du réservoir,) sifflote, tranquille, ça rigole à l’intérieur, plus fort encore quand il balance le pistolet au sol, saute dans la bagnole démarre en trombe agite le bras au passage devant la caisse, gueule salut, vu d’en-haut on verrait peut-être le bout de chiffon dépasser du réservoir, drôle d’équipée, peut-être on verrait aussi le gérant éberlué, peut-être on l’entendrait au bout du téléphone non j’ai pas la plaque j’ai pas bien vu trop rapide juste maintenant je vous dis, 5 minutes maximum pendant ce temps tu moulines des pensées et ça trace ça rigole encore plus fort ça commente t’aurais vu la gueule du vieux et toi putain tu lui as fait un bras ça pue l’essence dans l’habitacle se demandant si on est arrêté comment expliquer la présence avec la bande, raconter le coup du stop des heures avant et voilà embarqué dans cette histoire loufoque, les trouve dingues et plutôt sympas, marrants, ressemble à une immense blague, comme un scénar de film ou une BD, un truc pas croyable – d’ailleurs on sera jamais arrêtés ça va continuer sans arrêt l’équipée foutraque, d’en – haut on verrait maintenant les reflets sur le fleuve qui glisse à côté, épaule d’eau contre épaule de goudron, des oripeaux de lune accroché sur le dos ou des miettes de phare brisé, on verrait la caisse sombre qui file tout son long se dirige à fond vers les lumières de la ville, arrivant dans les faubourgs d’immeubles et de voies ferrées, tu vas où ? répondant Perrache parce que c’est par là tout en haut du noir, presque bouffé par le bruit des trains, le petit studio sous les combles, tout au bout des marches en bois poussiéreux, à peine arrivé je toque vous ouvrirez je dirai vous allez pas croire… mais déjà la voiture s’arrête là ça ira ? oui impec merci repart en vrombissant brillant comme par clins d’œil sous les lampadaires…

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