autobiographies #08 | autobio #7 (des cha-cha à la mer) labo de autobio #8

hier encore ; une marche ; en pierre ; anthracite ; un brin ondulée la porte ; disjointe ; légère ; pas légère comme une porte ; légère comme une plume ; un tiers bois ; deux tiers vitre ; double vitrage ? connaît pas le double vitrage en ce temps-là ; la porte est poussée cinquante fois par jour ; retenue par les habitués du quartier ; elle est risée de courants d’air ; ils s’engouffrent ; dès qu’ils peuvent ; se glisse par les interstices une fois la porte refermée ; cylindrique la poignée ; roulante sous la paume ; souvenir jaune et noir ; à deux ; la Flandria ; les gaz, mettre les gaz avec la poignée qui roule ; tintement de la clochette ; menton levé ; regard circulaire ; il cherche la clochette ; s’avancer ; derrière Jeanne ; vers le comptoir ; vitrine à gauche ; le fromage est à hauteur des yeux ; des yeux de l’épicier ; face lisse du fromage ; crâne chauve de l’épicier ; dégarni plutôt ; à huit ans, chauve ou dégarni c’est du pareil au même ; crayon derrière l’oreille ; tordue l’oreille ; le long tablier bleu marine ; une ficelle fixée à la ceinture ; et au bout de la ficelle un calepin ; pour l’addition finale avec le crayon ; que l’épicier descendra de l’oreille ; reflets d’emballages ; des chips, inconnus les autres ; décapsuleurs ; ouvre-boites-à-sardines ; canifs ; briquets ; lampes de poche ; plates mais grosses ; trop grosses pour la poche ; piles Mazda ; des cha-cha ; trois par trois ; dans du papier doré ; odeur flottante ; de jambon blanc ; en attente le jambon ; sa machine à trancher ; à trancher du saucisson aussi ; partout-tout-autour ; la profusion est grisante ; des taches colorées ; tapissant la verticalité des murs de lignes ; lignes horizontales ; droites ; brisées ; et forcément des carrefours ; élevant pareillement dans le vide et l’odeur de jambon des formes, des volumes, des masses ; étirées ; ramassées ; fragiles ; des tas de tout ; bouteilles pleines, bouteilles vides consignées ; s’entrechoquant dans leur casier ; des châteaux de corned beef ; des pyramides de haricots verts ; à portée des mains ; interdites cependant de toucher ; l’épicier est roi dans sa boutique ; manches à balai, plumeaux, martinets ; bocaux, décorés, leurs écritures ; s’élevant jusque plus haut que l’échelle ; roulante l’échelle ; comme la poignée de la porte ; le regard roule aussi ; le long des écritures ; sait juste rouler ; pas lire encore ; mais presque ; la voix de Jeanne : il me mettra une boite de coquillettes ; celle de l’épicier : des Rivoire & Carret ? ; celle de Jeanne : oui, une petite ; pour le soir, les coquillettes ; dans l’assiette ; avec du beurre ; danones goût vanille ; fraise ; abricot ; à l’unité ; pots cartonnés ; châteaux d’eau de haricots blancs ; du lait en berlingot ; comme les bonbons ; camaïeu de bleus ; les pointes du berlingot se prennent dans les mailles du filet à provisions de Jeanne ; tintement à nouveau de la clochette ; toujours introuvable ; assaut d’un courant d’air ; toujours s’engouffrant avec l’habitué entré ; murs toujours invisibles cachés derrière leur tapisserie de conserves, de lettres et de couleurs ; odeur omniprésente du jambon flottant ; et la voix de Jeanne ; familière ; fendant l’espace d’un il m’en mettra trois tranches ; celle du petit homme, fines ou épaisses ? ; une fine pour la petite ; ce il de Jeanne ; il traçant à chaque fois son point d’interrogation dans la tête de l’enfant ; il inodore ; il incolore, invisible où que le regard se porte ; il ; qui il ? ; où il ? ; pourquoi il ? ; il dans un recoin de la boutique ? ; il quelque part dans le dos ? ; dans l’arrière boutique ? ; il agaçant ; ne se disant pas ; tandis que l’épicier, crayon à l’oreille, calepin à la ceinture, l’épicier assemblant, rassemblant, glissant dans le filet de Jeanne le jambon, la boîte de coquillettes Rivoire & Carret (et au tout dernier moment les cha-cha trois par trois dans du papier doré), l’épicier, implicitement, sait que ce il est lui.

Codicille : sensation de retrouver le rythme imprimé par les espaces dans les textes de Pousser la langue #5 Roubaud et la Poterne des peupliers

A propos de Christiane Mansaud

Besoin de passer par d'autres langues - connues, inconnues, pour mieux sentir celle en creux, la redécouvrir, l'explorer de la voix, la réécrire, la modeler, aller jusqu'où il est possible - qui mène l'autre ? mystère...

2 commentaires à propos de “autobiographies #08 | autobio #7 (des cha-cha à la mer) labo de autobio #8”

  1. texte très morcelé, pareil à des éclats de verre éparpillés (je pense à Tarkos)…
    cette liberté éparpillée !
    ah oui, ce merveilleux atelier de la Poterne des Peupliers…

    continuons ensemble la route, chère Chris…

    • ….. pas pensé à Tarkos, mais pourquoi pas, décidément ! il y avait juste cette profusion à couper le souffle !