autobiographies #06 | éloge de la lenteur de Hanoï à Hué

6 décembre 2005 – Hanoï capitale, Hanoï bruyante, exubérante – Sa gare principale, son hall bondé, ses mini salons de soins, un fauteuil, un homme souriant qui masse mes pieds fatigués par la marche dans la montagne thaï – bien être total – et les hauts parleurs annonçant les départs et arrivées des trains – sensation d’être sourde à ne rien en comprendre – mais, bon, le train de nuit de 20 heures est indiqué, il m’attend quai A ( cet étonnement de pouvoir lire une langue incompréhensible, l’alphabet latin permet la lecture des affiches ), me voilà rassurée devant ce train comme un jouet d’enfant, vieillot mais nous proposant une cabine confortable, quatre couchettes dites « molles » — le luxe – , le plaisir de m’installer, d’apprécier les oreillers et la housse de couette en soie, nénuphars dorés sur fond rose – le luxe – et aussi les cadeaux offerts par la compagnie des chemins de fer, une bouteille d’eau, des friandises, pétales de noix de coco, ananas séchés, en savourer quelques tranches en écoutant le brouhaha intense dans le train, sur les quais, les rires, cette langue qui m’étonne, avec ses syllabes qui claquent, qui chantent, qui changent de ton sans cesse, et le contrôleur qui nous salue, qui en un mauvais anglais nous explique que le train va démarrer vers Hué, 600 kms, 12 heures pour les parcourir, et là le plaisir de le comprendre et de lui répondre en un anglais tout aussi nul que le sien, plaisir de la rencontre, plaisir des yeux, les yeux grand ouverts sur les lumières de la gare, de la ville que l’on traverse, avec ses rues submergées par les vespas, les vélos, ah, les vélos et leur utilisation incroyable, une famille avec deux enfants, cet autre avec en son travers un énorme cochon entravé, ou des cages de poules en équilibre instable, celui-là chargé de bambous d’une longueur incroyable, tous au touche à touche, et nous éberlués devant la fenêtre de la cabine que j’ai baissée parce qu’au Vietnam, c’est possible, é pericolosi spongersi n’est pas signalé ici ! et entrent les odeurs de la ville, bientôt celles de la campagne dont je devine dans le jour fuyant la mosaïque des rizières, certaines cultivées, d’autres simplement en eau, et toujours les talus de terre qui les délimitent, et isolées au beau milieu d’un champ des tombes, des stèles, un petit autel où déposer des offrandes aux ancêtres, où prier pour eux, et je leur demande de me protéger, alors que la nuit s’installe et que le train dandine à chaque courbe de la voie, il pourrait se renverser, mais non il poursuit son train de sénateur, entre roulis et soubresauts, il me suffit de suivre son rythme pour oser m’aventurer dans le couloir, explorer, découvrir le gigantesque samovar qui trône en majesté et me propose son eau chaude pour le thé, et la série de vasques devant lesquelles de ravissantes jeunes filles vêtues des longues tuniques blanches traditionnelles (l’ào dài) se brossent les dents en bavardant, trouver ce spectacle irréel, me questionner, sans doute des étudiantes qui se rendent à Saïgon, rejoindre la fac, une cérémonie ?, me questionner et de retour en cabine, être là encore surprise, m’apercevoir que mon amie Claire somnole, que nos deux compagnons se sont endormis, ils mêlent leurs ronflements aux grincements des roues du train, aux coassements des grenouilles dans les rizières inondées et à chaque arrêt dans les petites gares, aux clameurs des vendeurs ambulants, à la musique plein tube, de la pop, aux voix des passagers, la vie ordinaire, quoi, et eux ils dorment indifférents, alors qu’il est génial de la voir se dérouler (la vie) sous mon regard, regard que je ne peux détacher de l’extérieur, de ce monde inconnu que je découvre par éclipses, au hasard des maisons éclairées, des terrains de sport illuminés, des phares de voiture qui balaient la route, et soudain un éclair de lune transformant la campagne, les arbres devenant inquiétants, tels des dragons surgissant des ténèbres, et un grondement, la mer peut-être, la mer de Chine, allez savoir, je fredonne : Chine, Chine, Chine patachine, J’aime la Chine et ses petits chinois, Chine, Chine, Chine patachine, J’aime la Chine et ses chapeaux chinois, Pameli, pamela pam pam, J’aime la Chine et ses petits chinois, et adossée à mes oreillers, je m’endors, le train continue ses sauts, me berce, secoue ma carcasse, le train roule, je roule avec lui, la nuit s’efface, le soleil fait timide apparition, on toque à la porte, c’est le contrôleur qui nous souhaite le bonjour avec respect — il est si jeune sous sa casquette réglementaire –, pour nous un petit déjeuner, ouvrir le paquet Mi Bo, jeter le tout dans le bol d’eau bouillante, ça se développe, ça absorbe le liquide, nouilles plates de riz, champignons noirs, lamelles de poulet, c’est chaud, ça embaume la cannelle, la girofle, la coriandre, c’est une soupe pho bien venue pour démarrer une nouvelle journée, et c’est l’arrivée à Hué, en plein centre ville la gare vestige de l’époque coloniale de l’Indochine dite française…

Hué, cité impériale du Vietnam et capitale du pays de 1802 à 1945…