autobiographies #08 | oasis persistants

C’était dans l’appartement tournant ; à vingt-deux vingt trois heures ; assis l’un en face de l’autre ; studieux occupés à la table de la salle à manger ; la maison endormie ; dans l’alcôve attenante sans porte ; la mère dormait ; la couverture remontée haute jusqu’aux oreilles ; le lampadaire torsadé éclairait sourdement la pièce ; l’abat-jour très grand ; dans les tons beige et marron ; un bateau à voile peint dessus ; les grandes tentures rouges aux deux fenêtres ; hautes les fenêtres tristes ; trois portes blanc cassé ternies ; plus deux portes semblables comme placard ; la porte donnant sur la cuisine est en biais dans le coin ; soigneusement fermée ; pour chasser enfermer les odeurs ; à côté le grand buffet Henri IV ou V on n’a jamais su ; pas d’information là-dessus ; à une période pas si lointaine l’oncle prêtre avait travaillé avec le Gaffiot avec le frère ; dans cette même pièce ; la soeur avait écouté très intéressée et puis rien ; un calme apparent à la table où ils étaient assis ; le père complétait les ressources du foyer en «faisant des contributions» mots choisis pour expliquer ces grands cahiers ; on allait aux impôts les chercher ; il s’agissait de remplir de nombreuses colonnes pleines de chiffres ; le nom des gens leur adresse ; puis le montant de divers calculs obscurs ; en vue de calculer les impôts dus par les citoyens ; à longueur de veillée ; de l’électrophone posé avec soin sur la desserte sortait la symphonie pastorale ; explication sans doute de la couverture remontée sur la tête de la maman ; le père levait la tête de temps à autre sur sa fille assise en face de lui ; laquelle avec les livres en pile était absorbée dans ses révisions du baccalauréat ; ils échangeaient un sourire complice mais reprenaient très vite leur travail ;

dans la maison juste après le pont ; un appartement tournant encore ; comme c’était souvent le cas dans ces années là ; dés le pas de porte l’ambiance est donnée ; jamais les gens ne s’étaient habitués à prendre la vraie entrée de l’autre côté de la maison ; tous rentraient du côté de l’impasse ; le pas de porte franchi ils tombaient directement sur la chambre des garçons ; très sommaire d’ailleurs ; un tapis brosse marron clair que les enfants repoussaient toujours dans le coin ; et surtout les deux matelas par terre sans sommier ; entre les deux une minuscule table de nuit avec un tout petit tiroir ; le plus grand l’avait fabriquée avec une plaque de contreplaqué ; juste à côté la chambre des filles ; vers la fenêtre un petit bureau et le lit sans sommier ; du côté de la porte un bureau légèrement plus grand ; le lit également un matelas par terre ; c’était les cavalcades des enfants dans les pièces de la maison tournante ; les jeux sous la table recouverte d’un drap ; avec tout un fourbi de vaisselle de peluches de ballons de petites voitures ; les soirs où les parents tranquilles lisaient dans la cuisine ; les livres de poche qu’ils avaient achetés juste avant  ; on surveillait amusés et inquiets ; si les parents étaient absorbés dans leur lecture ; encore un peu ; le plus tard possible ; s’ils nous oubliaient un peu, on jouerait encore ; tu serais la maman et moi j’irai au travail ; chut pas de bruit ; et ils pouffaient de rire ; la petite s’était endormie ; le majeur et l’annulaire dans la bouche ; avec le petit doigt pour caresser les lèvres ; et puis l’heure venait de coucher les enfants ; pour les parents restait à finir la veillée ; quelques heures encore à finir les comptes, les factures, les courriers ; et puis il allait prendre dans le placard les petits lus ; une habitude récente qu’ils avaient prise ; avant de s’engouffrer dans le lit ; ce lit qui accueillait leurs ébats depuis tant de soirs ;

C’était le matin à six heure ; à l’heure du premier office ; le temple humble de ce tout petit hameau ; dès la lourde porte à deux vantaux cintrés franchie ; le silence saisit ; tout à fait comme une chappe ; on est happé dedans instantanément ; le corps sent un saisissement lourd d’abord puis léger ; étrangement léger ; pas de fioritures ni statues ; pas de croix ; pas de transept juste une pièce en longueur ; aucun pilier ; une seule arche de pierre, pareille à un pont ; sur toute la longueur du temple ; un dépouillement absolu ; l’autel est sobre, une table en pierre nue ; six rangées de banc en bois foncé ; une lumière oblique vient de traverser les fenêtres ; aucun vitrail ; juste des verrières en grisaille, pas de signe accrochant le regard ; les murs sont de pierres, ni crépis ni peints ; les quatre frères protestants entrent en chasuble simple ; ils commencent à chanter à quatre voix le psaume 137 ; «estans assis aux rives aquatiques» un chant renversant incroyable bouleversant ; ce chant enfonce dans une stupeur aérienne ; il transporte dans une autre région inexplorée ; qui fait chavirer celle qui en cet instant est seule à entendre ; qui fait tournoyer d’une joie inouïe ; désirée depuis longtemps ; inconnue encore ; quel est ce chant incarné par ces quatre hommes silencieux habituellement ; tout à coup ses frères inconnus mais connus si ; connus par ce chant là ; qui parle au dedans d’elle au dedans d’eux et de qui encore ; un chant qui inonde l’espace qu’on a vu petit et qui s’agrandit, se distend, se déploie ; un son vertigineux pour les cinq présents là ;

2 commentaires à propos de “autobiographies #08 | oasis persistants”

  1. Merci Simone, je viens de découvrir ce chant grâce à vous… Et j’adore le rituel des petits LU et l’évocation de ces temps à la vie rude, mais pas que…