autobiographies #13 | une fille

Je ne suis qu’une fille. Je n’aime pas qu’on dise femme ou encore moins madame quand on parle de moi. Ce serait mentir, cacher ma vraie nature. Je suis légère, je joue, je tangue entre plusieurs possibles. Je ne lis que des romans, les choses et les gens compliqués m’emmerdent. Heureusement, j’ai mes histoires, j’en lis le matin au réveil, le soir en me couchant et aussi dans la journée. J’ai toujours un bouquin dans mon sac, quelque chose à brandir en cas de vide inattendu. Je lis tellement que j’ai parfois peur de glisser dans la fiction. Je me surveille, je m’accroche aux parois glissantes de la réalité.

Quand je l’ai rencontré, iI a prévenu: avec moi, tu ne connaîtras pas la routine, je ne suis pas capable de te donner ça. J’ai ri, qu’est-ce que je peux m’en foutre de la routine, je ne vais quand même pas me ranger des voitures à trente ans. Je n’en ai rien à faire qu’il n’ait ni l’argent ni la stature, je suis une aventurière. Depuis que mes yeux ont croisés les siens un soir d’été, je n’ai plus d’intérêt à la vie du commun des mortels. J’aspire à la flamboyance et à la poésie, je flotte au-dessus de tout, je n’ai besoin que de lui et de mes histoires.

On vit comme des gosses, on fait des conneries, on se fout pas mal des conséquences. On n’a peur de rien, sauf de l’ennui. Notre vie est remplie de fêtes, d’amis bruyants, de musique assourdissante et de rires. De nuits passées dans le bus, la joue écrasée contre la vitre, face aux paysages désertiques; à avaler du bitume dans l’espoir de nouveaux horizons; de nuits à courir les bars, être acclamés en entrant, étreindre les miens; de nuits à se sentir aimée, accrochée à son bras, sous la voûte étoilée; de nuits aux fins brutales avec l’arrivée d’un soleil brûlant; des nuits fantaisistes, suivant le fleuve jusqu’à sa source; des nuits sauvages où le diable s’empare de nous. Saoûlée d’amour et de rêves, je me cache, je ne veux pas qu’on me trouve, je ne veux rien y voir.

Je me réveille un matin. Il n’est pas rentré depuis trois nuits. Il réapparaît puant et répentant, s’enferme dans la chambre du fond, m’envoie des sms depuis le couloir. Il préfère mourir que de croiser mon regard. Je passe la journée allongée sur son torse à écouter battre son coeur. J’ai peur qu’il parte, qu’il interrompt mon rêve, qu’il s’arrête, de battre. Chaque fois qu’une sirène retentit quelque part en ville, je crois qu’elle s’adresse à moi. J’essaye de deviner la direction que prend l’ambulance, se pourrait-il qu’on se soit saisit de lui dans quelque un caniveau… Plus tard, ce sont les pompiers, on l’aura retrouvé pendu dans l’entrepot où il travaille. Ou il se sera entaillé les veines en cuisine avec ces couteaux tranchants qu’il ramène parfois à la maison. Ou une attaque cardiaque, avec tout ce qu’il prend, ça pourrait lui arriver, quelqu’un l’aura retrouvé dans un parc, ou une overdose. J’attends l’annonce en regardant l’écran de mon téléphone. Dans le silence de ses absences, je pars, je deviens non plus sa femme, mais une femme.

A propos de Irène Garmendia

Lectrice par amour des mots et des histoires. Voyageuse immobile, perdue entre plusieurs langues, a récemment découvert le jeu d'écrire.