autobiographies #07 En portes

Dans le nouvel appartement, la porte de la chambre où désormais tu dors — ta chambre. La porte qu’ils laissent entrouverte pour que tu t’habitues. L ‘espace entre la porte et le mur que tu réclames pour que la lumière du couloir entre. L’angle très précis que doit prendre cette porte ouverte; sans quoi tu ne dormiras pas.

La porte du bout du couloir, qui se voit de très loin et fait plus peur que toutes les autres portes.

Les portes d’Alice, trop ou pas assez.
La porte avec la bobinette qui a une chevillette qui choit.
La porte qui se mange.  

Sous l’horloge arrêtée, une porte rouge avec des petits clous dorés. C’est une porte capitonnée. Juste derrière, c’est là que se tient l’arracheur de dents.

La porte grillagée de l’ascenseur qui a des ressauts quand on arrive au sixième — pas la porte, l’ascenseur —, et ton cousin du sud ouest se coince le petit doigt en l’ouvrant.

Dans la maison de poupée, la porte avec sa poignée, plus vraie que la vraie poignée d’une vraie porte — on dirait une  bille de sucre argent—, mais elle ne tourne pas .

La porte du placard du salon de la rue de Steinkerque, où elle range son tourne-disque, le bois de la porte s’est voilé et la porte s’ouvre en grinçant après qu’on l’a refermée

La porte  avec sa ferronnerie ancienne qui a une clé qu’on ne retrouve plus.

La porte fracturée au pied de biche qui bée sur les tiroirs ouverts.

Celle qu’on referme aussitôt pour que l’air n’accélère pas la putréfaction

La porte derrière laquelle le vent hurle.

Celle devant laquelle on passe on faisant chut avec un doigt sur les lèvres. Celle des cris. De leurs cris.

La porte derrière laquelle quelqu’un jouit. Celle d’un couloir d’hôtel. Dans une ville du centre de la France. Une porte.

Les portes de couloirs. La démultiplication des portes. Leur réplication: hôpital, hôtel, hall

Celles des chambres du conservatoire de musique de L. et chacune a sa musique .

Celle qui porte le numéro 2-47 au bout du couloir et quand tu entres la chambre est vide

La porte de la cabine de bain du père de K. La porte de la chambre de la grand mère de P. Les portes de l’enfer dans le jardin du musée.

La porte où le chiffre est tombé.

Les portes (acoustiques ou pas) standards de 203 sur 73.
Les Leroy-Merlin ou les Lapeyre. Celles avec une poignée qu’on redresse pour enclencher la clé.

Celle hors normes et double que tu dessines, qu’il faut armer d’aluminium pour qu’elle ne voile pas. Par où entre et sort un roi fou.

La porte trappe — elle s’ouvre en guillotine— haute de 75 centimètres c’est de là qu’elle s’extirpe en rampant.

Le porte en trompe l’œil de cette villa italienne aussi vraie que les raisins de Zeuxis

La porte du réfrigérateur qui s’ouvre dans le mauvais sens: « Vous aviez-demandé avec l’ouverture à droite » et le marchand accepte l’ échange.

Celle qui a une fermeture électrique et qui en cas de panne ne s’ouvrira plus même avec une bougie

Celle qui tourne sur elle même.

La porte cramée à l’étage des chambres de service, celle qui a tenu bon et par où on extrait le corps de l’enfant.

Rue T., la porte rouge. Un peu après la rue Legendre sur le trottoir de gauche, en remontant, du square des Batignolles. Porte moulurée à doubles battants d’un rouge vif, vermillon plutôt que laque de chine. Elle a de petites grilles forgées peintes en noir qui protègent deux fenêtres de verre granité qui s’ouvrent de l’intérieur. « Vous verrez c’est la porte rouge, il n’y en qu’une dans la rue vous ne pourrez pas la manquer. »

La rouge qui, cependant qu’ouverte en grand, oblige à redresser « la boîte ».

La porte « roze », trois planches pleines d’échardes  avec un grand fer plat rouillé en Z qui les maintient. Le crochet courbe où on laisse la clé pendue.
La même qu’on peut couvrir de fleurs ou de bonhommes mais seulement à la gouache et quand il pleut la peinture se dilue.

Celle de l’entrée des artistes avec son : passage interdit à toute personne étrangère au service.

Les portes du couloir de l’hôtel reconstitué en studio qui ouvrent sur le vide

Combien de décors sans portes ou de portes par décors; l’importance donnée aux portes; aux ouvertures; aux seuils, aux encadrements… portes doubles, fixes, battantes, rotatives, de taille standard ou trop ou pas assez et le fait d’entrer ou de sortir, de franchir, de surgir, d’arriver. Porte qui porte de lourds rideaux ou porte de verre même une basculante …

Les portes en fer d’une hauteur de quatre mètre par où passent les camions de déchargement

Porte tambour, porte flux, porte à écoulement de vies, de passants, porte à ne plus repartir, porte à éternel retournement, portail, porche, porte, tout électrique avec ou sans bip ou avec télécommande, à reconnaissance digitale même faciale


La porte des fours où l’on ne cuit pas de pain.


Celle en porte à faux ou de guingois qui ouvre sur un chemin.

La dernière du porte à porte de ce jour là qui reste muette.

géométries en portes; angles contre la mort en portes; porte amer (il y a une minuterie. À un bout du couloir, la porte des toilettes à l'autre bout celle de  la cuisine et sur la droite, la porte de la toute petite chambre où dort le sculpteur qui s'est brûlé les mains. La minuterie s'éteint;  tout devient noir, puis clair sombre avec des ombres. La porte de la toute petite porte s'ouvre; une grande lueur et une grande ombre se portent sur le mur : L'ombre et la lumière  de l'homme aux mains brûlées.  
Manger ou dévorer ou simplement passer la langue sur : un livre, une chaise, une porte, un caillou,  comme proférer des paroles  qui se transforment en bêtes et parfois en choses précieuses.
Dans le cheval de Turin les mots qu'ils ne disent pas même en dedans. Le vent frappe, frappe, frappe  la porte. Mots tus et enfiler ses bottes ou cuire la pomme de terre qui se déchire à même la peau. Le vent contre la porte. Sans mots.  
Un coffre en fer coincé entre deux étagères — sa porte "inviolable" avec le bouton qui tourne en aller retours sur un code à six chiffres. Elle glisse une clé de poupée dans la serrure en forme de quille. La porte s'ouvre: un bracelet d'or d'Amérique du sud, un chiffon plié et ficelé plein de lettres
Elle raconte qu'elle l'a rêvé: deux hommes étaient entrés, elle s’était trouvée face à eux... ce cri elle assure qu'elle l'a poussé — la mâchoire écartelée, la douleur dans  l’articulation au réveil. Le cri qui augurait du silence des choses. Ils avaient pris la broche abeille et la petite radio ; de l’argent disparu elle dit qu’elle s’en moquait. Ils avaient pris une autre chose qu'ils avaient jeté  au feu. Elle a oublié. Elle te raconte cela devant la porte qu’on ne peut plus refermer.  
Qu'on peut pas réveiller le mort derrière la porte interroge l'enfant. 
Se souvenir du numéro pas de sa couleur qui devait être coquille d'œuf comme toutes les portes de ces couloirs là.
Un chiffre tombe. Une boule roule dans une spirale de métal — comme dans ce jeu de hasard. Un douze, un trois... Le quatre cent sept. Elle dit que c’est celui de la porte d’une chambre d' hôtel, c'est un chiffre improbable. Elle voit la trace du numéro sur la porte en contre plaqué imitation chêne — comme un pochoir. Longtemps qu’elle a perdu la boule. 
Ce jour de panne devant les portes muettes (enfermé dedans) 
l’odeur de brûlé pendant des mois; est-ce qu'on  pensait à l’enfant. Nous n’en parlions pas. L’odeur de brûlé et le noir de la porte; ces vésicules, ces boursoufflures, ces petites cloques... l’odeur de plastique et de chair. Neuf mètres carré: douze, a rétorqué le propriétaire. Elle faisait des ménages au troisième; ils vivaient là, à deux. La chambre s'était gratuit a dit le propriétaire.  
Le jour où la maison a été vendue, cette requête faite aux nouveaux propriétaires: que la porte ne reste pas rouge. Tu passes dans la rue, c'est une porte grise c'est comme une  porte de banque avec  digicode et interphone sur la droite. 
Portes des entrées de tous les théâtres par où sortent les artistes. Avec gardien ou interphone ou code. La grande femme dans sa cage de verre, celle qu'ils surnomment Bubule. Qui te demande: et qui et quoi; la rousse au faux air de russe, qui cause gentiment. Qui boit. Qui est morte aujourd'hui. A pas tenu "la retraite". 
Par la même porte les mêmes choses; elles entrent et ne sortent plus. Parfois c'est l'inverse.  
Des rose trémières entourent la porte, un figuier qui pousse en largeur, coquillages et pierres  L'antivol fixé à l'anneau de métal: "tout fini par rouiller ici, (même la gazinière presque neuve; ses brûleurs mangé de rouille). Le lierre troue le mur de pierres. La pelle de plage sous l'herbe haute qui pousse au long des murs et l'herbe au milieu du chemin aplatie par les roues de bicyclettes.  Les  déjections (c'est là que tous les chiens du voisinage chient). Elle dit qu'elle va installer une barrière pour fermer le passage aux chiens;une barrière toute blanche avec une porte à ressors d'une hauteur de soixante quinze centimètres :une hauteur de table. 

A propos de Nathalie Holt

Rêve de peinture. Quarante ans de scénographie plus loin, écrit pour lire et ne photographie pas que son lit.

7 commentaires à propos de “autobiographies #07 En portes”

  1. … comme une histoire à construire à chaque porte – une bobinette à tirer pour que la chevillette choie – merci pour cette diversité, Nathalie.

  2. Labyrinthe émaillé de portes et derrière chacun déjà l’ébauche de tout un monde… Je découvre qu’il existe d’autres portes, de placard, de coffre… N’y avais même pas pensé. Merci, Nathalie, de nous ouvrir si vaste univers.