autobiographies #11 | petites touches de bonheur

Ses mains attrapent la boîte à bijoux au fond du secrétaire, à côté des papiers de la maison. Elle l’ouvre, touche, fouille dans les petits tiroirs remplis de soie, de bagues, de boucles d’oreilles, de broches et de clips. Rien de précieux, pas de valeur sauf sentimentale. Elle se pare surtout pour sortir. Il y a là une garniture en ambre, de grosses pierres jaunes dorées orangées translucides, elle aime le jaune, chemise tournesols, foulard olive et soleil, casquette jaune en vacances…Elle met le collier, une pierre solitaire accrochée à une chaîne dorée, un bracelet composé de sept pierres régulières d’ambre — elle aime aussi le mot ambre — et une bague avec une grosse pierre dodue ronde pleine qui couvre toute une phalange de l’annulaire gauche. Ses mains sont fines, soignées et les ongles sont vernis de corail, couleur douce assortie à son rouge à lèvres qu’elle met quand elle s’en va dans le monde. Parfois elle préfère un ensemble de bijoux en corail sauvage ramené de vacances en Italie, collier tour du cou aux gouttes rouge clair, boucles d’oreilles pendantes assorties. Quand elle soigne sa maison, elle range tout dans sa boîte à bijoux sauf son alliance fine en or qui ne la quitte jamais. Elle passe doucement le chiffon à poussière sur le grand piano à queue, noir, brillant qui prend une place immense dans le salon. Elle effleure avec douceur les touches ivoires et noires, tapote quelques airs, une petite valse légère, c’est ce qui reste de son apprentissage d’autrefois. Les enfants la remplaceront, persévèreront, sauront aller plus loin. Elle gardera le piano pour eux. Le chiffon à poussière dans la main, elle se tourne vers ses plantes vertes qui l’aiment, qui aiment ses mains vertes, ses caresses, ses paroles encourageantes, elle ne leur chante pas de chansons, mais leur raconte ses journées, et les plantes s’épanouissent, le philodendron fait le tour de la chambre, les clivias ont une floraison exceptionnelle chaque printemps avec des calices à foison dans une seule fleur rouge corail, les chlorophytums jaillissent du mur en cascades vert tendre…Elle sort sa boîte d’ouvrage, bobines à gogo, de toutes les couleurs, ciseaux, aiguilles et épingles à tête de perles multicolores, et un coussin pour épingler les épingles, un coussin en feutre rouge, rembourré de coton, à la broderie hongroise, elle coud, elle tricote, chaussettes, pulls ou  petites robes, les mains au vernis corail ne s’arrêtent pas souvent.

Parfois elle fait une pause, s’assied dans la cuisine devant sa tasse de café, la sienne, celle qu’elle utilise toujours, jaune pâle parmi les six couleurs pastel d’un service multicolore, une couleur pour chaque membre de la famille, elle fait une pause, c’est son moment de tranquillité, quand les enfants sont partis à l’école ou avant qu’ils reviennent, elle respire, réfléchit, le regard perdu sur les deux cadres qu’elle a accroché elle-même sur le mur d’en face, reproductions d’œuvres de Brueghel qui lui tiennent compagnie.

A propos de Monika Espinasse

Originaire de Vienne en Autriche. Vit en Lozère. A réalisé des traductions. Aime la poésie, les nouvelles, les romans, même les romans policiers. Ecrit depuis longtemps dans le cadre des Ateliers du déluge. Est devenue accro aux ateliers de François Bon. A publié quelques nouvelles et poèmes, un manuscrit attend dans un tiroir. Aime jouer avec les mots, leur musique et l'esprit singulier de la langue française. Depuis peu, une envie de peindre, en particulier la technique des pastels. Récits de voyages pour retenir le temps. A découvert les potentiels du net depuis peu et essaie d’approfondir au fur et à mesure.