autobiographies #08 | revenir toujours et encore

1/ comme un collier de portes et de pièces ; avec ses meubles dépareillés d’époque et de personnalités ; agrégat de souvenirs de différents occupants depuis la nuit des temps ; la cuisine par où se fait l’entrée ; une cuisine de vieille mouture ; ses placards encastrés dans ces gros murs de granit ; jaunes ; des placards désespérément jaunes ; chacun avec un mode d’ouverture différent, targette, poignée, loquet  en laiton; la porte de la cave au centre ; son inscription au-dessus avec des lettres majuscules en plastique rouge collées en arc-de-cercle ; tout n’est rien ; c’est la première chose qu’on voit en entrant dans la pièce ; tout n’est rien ; une porte sur le mur à droite et c’est la petite pièce ; on pourrait dire bibliothèque aujourd’hui mais on dit toujours petite pièce ; faut pas chercher à comprendre ; tous les murs sont recouverts de livres ; et c’est très sombre ; on traverse pour ouvrir une porte ; petit couloir ou hall où s’entreposent chaussures et vestes pour sortir ; chapeaux et casquettes, parapluies ; un noir avec une baleine cassée mais ça peut toujours servir ; trois portes, wc, deuxième cave qu’on laisse de côté ; la troisième porte qui s’aligne sur celles où l’on est déjà passé ; pour tout un chacun on pénètre alors dans la salle à manger ; pour moi c’est l’écurie ; la cheminée trône dans l’angle à droite ; avec bien accrochée cette espèce de chouette en bois qui claque des ailes lorsqu’on actionne un levier dessous ; tous les enfants portés dans les bras pour ce jeu; au-dessus du buffet une pancarte en bois ; des lettres écrites dessus un peu penchées ; la table est ronde et ma mémoire aussi je me souviens de tout le monde même de ceux qui sont partis ; tout au fond de la pièce l’escalier qui monte à la salle ; je ne sais pas pourquoi on ne dit pas salon ; moi je dis grange quand personne n’entend ; grimpant les marches je sais l’inscription sur le sommet du plancher ; juste au-dessus de l’escalier à la descente ; en lettres blanches ; rien ne presse ; la grande salle s’étale emplie de meubles ; des canapés des fauteuils ; des buffets et tables hautes et basses ; un bureau et des pages de mots ; un ménestrel sous verre qui donne ce rien de fantaisie nécessaire à la vie ; une baie vitrée qui ouvre sur le petit pré ; les autres disent le jardin ; une porte très très basse qui ouvre le charnier où se range tout ce qu’on ne sait pas ; la porte normale qui va dans la chambre numéro un ; puis en enfilade la chambre deux ; ne pas oublier les marches qui descendent ; la première petite marche ; puis la deuxième un peu plus basse pour aller dans la chambre du fond ; et la troisième enfin très basse pour entrer dans la salle de bain ; pour moi c’est la petite chambre isolée des bruits juste au-dessus de la cave ; on peut enfin se laver les mains ; mais si on veut de l’eau chaude il faut bien avoir pensé à allumer la chaudière lorsqu’on est dans la cuisine ; sinon on refait tout le trajet en sens inverse ; le collier est fermé ; pour s’échapper il ne reste que la minuscule fenêtre carrée dotée de barreaux qui ouvre sur le petit jardin ;

2/ on entrait par la porte du magasin qui donnait sur la rue ; il fallait pousser un peu la porte qui raclait sur le plancher ; enfin ce n’était pas un magasin mais un atelier où se réparaient les chaussures les sacs ou les cartables en cuir ; c’était l’odeur du cuir avant tout ; et l’odeur de colle qui s’étirait entre spatule et objet à ressusciter ; les grandes vitrines vides donnaient la lumière qu’il fallait ; au sol un vieux plancher aux lames grises épuisées ; au fond de l’atelier on poussait une porte et c’était la cuisine aveugle ; nuit permanente ; ampoule au bout d’un fil ; une table des chaises un buffet ; un calendrier des postes posé dessus ; à côté le petit transistor caché sous un tissu ; un escalier en bois pour monter à la soupente ; on ne montait jamais ; on restait dans cette cave ; ils jouaient aux cartes ; on regardait ; on attendait ; on n’était pas mal ; on aimait bien être là ; c’était comme un cocon ;

A propos de Solange Vissac

Entre campagne et ville, entre deux livres où se perdre, entre des textes qui s'écrivent et des photos qui se capturent... toujours un peu cachée... me dévoilant un peu sur mon blog jardin d'ombres.