autobiographies #06 | vol de nuit.

Départ pour la Floride, Etat du sud-ouest des USA avec d’un côté, l’océan Atlantique et de l’autre, le golfe du Mexique, comprenant des centaines de kilomètres de plages, plages de gens, plages de chiens, plages de voitures, la Floride donc, mais pas Miami, ni Orlando, non, ce sera Tampa, siège du comté de Hillsborough sur la côte occidentale, le long de la baie de Tampa, là où il fait toujours beau, toujours chaud, 350 jours et des poussières sans pluie, sur le vol United Airlines via Francfort, Allemagne, d’une durée de 13 heures environ, dans la nuit du 24 février 2018, arrivée à l’aéroport, lieu propice aux voyages, à la rêverie, à l’aventure qui s’annonce, excitation, jubilation, allégresse, corps collés à la baie vitrée, regards fixés sur la piste de décollage/atterrissage, pupilles écartelées devant les engins de fer ailés à qui l’on s’apprête à confier les vies, stupeurs et tremblements à cette pensée, les vessies se remplissent, les ventre se nouent, les jambes tremblent, dans la queue humaine fatiguée, pressée d’en finir et de dormir, valises et sacs étiquetés, empilés, trainés, mal fermés, oubliés quelquefois, conversations feutrées d’où éclatent brusquement un désaccord, un énervement et des coulées de larmes, adieux déchirants ou câlins amoureux, derniers baisers mouillés et promesses données, langues françaises, anglaises, italiennes, bulgares, etc., vérification des billets, passeports, en poche, droite, gauche, intérieure, extérieure, portes monnaies et autres secrets cachés, fouilles des bagages, intimités étalées et radiographiées, bouteilles d’eau vidées, scanners du corps, lumière rouge, bip de contrôle, ceintures et chaussures enlevées et réajustées, détestation de marcher en chaussettes sous les regards goguenards, salles d’embarquements, traversées des couloirs bleus grisés, sourires aux hôtesses, stewards et pilotes s’assurant qu’ils ont tous, une bonne tête et l’air sobre, sérieux et responsable, car il ne manquerait de surcroît que l’un d’entre eux soit dans un état éthylique au moment de s’envoler, sièges d’avion en classe économique serrés, couvertures (petites mais douces) aux pieds, sièges de premières classes délicatement incurvés permettant d’allonger les corps avec volupté, couvertures ( chic et bleu marine) écrans d’ordinateurs allumés, l’engin va décoller « mesdames et messieurs, veuillez rester assis pour le décollage… » voix du personnel, instructions, ceintures, mode avion, poussée du moteur, roulage des roues sur le tarmac, accélérations, sifflements aigus dans les tympans, chewing-gums dans les bouches, crispations des bras sur les accoudoirs, cœurs battants, prière au ciel, l’appareil s’engage, face au vent, fonce, propulsé droit vers l’avant, rythme du sang dans les veines, aspirations, inspirations, respirations, yeux fermés, puis la portance et le long courrier, monte, quitte la terre ferme, replie ses roues, déplie sa voilure, ses ailes, et s’envole pour l’immensité, soulagements furtifs, être dans les mains de Dieu, impuissants et sans choix, apaiser sa pensée, croire pour la première fois, détacher les ceintures, regarder les gestes de survies, les oublier, se dire qu’il n’y en aura pas nécessité, ressentir le doux ronronnement de l’avion, se concentrer sur les passagers, tous ou du moins, la plupart font défiler les choix illimités des derniers films du box-office, livres, magazines ou journaux flanqués derrière les filets tandis que virevoltent avec brio, les hôtesses et leurs jolis plateaux-chariots aux petites barquettes de purées, légumes, viandes ou tofus, desserts vanillés ou chocolatés, petits pains dorés, le tout recouvert d’un scintillant cellophane et de minuscules couverts non pas d’argent mais de bois, suscitant suspension d’activité, étirements de jambes, salives aux lèvres, brillance des yeux, inscrivant dans les cerveaux, endorphines et plaisirs immédiats, un je ne sais quoi de « ah ! on va manger, c’est bien, ça passe le temps « précipitant les doigts au dépiautage délicat de ces mets quasi raffinés, au léchage discret de la sauce tombée par inadvertance et savourant avec délice, cette parenthèse dans le temps qui traine, se suspend, s’étire lentement, trop lentement, emprisonnant, lui-même et le tout, dans cet oiseau volant à la pointe des nuages blancs éclatants, divinement éclairés par l’ultime rayonnement du soleil, faisant tranquillement place à la nuit étoilée, aux hublots qui se ferment, aux écrans qui s’endorment, aux sièges qui s’allongent, devant, derrière, ventres imposants, peur d’écraser, corps coincés, impossibilité de fermer l’œil, pensées en pagaille, ronflements nocturnes, où mettre les jambes, les pieds et tout ce qui dépasse, somnolences, longs va-et-vient entre les sièges et les toilettes, totalement exiguës, ne laissant place que pour le glissement prudent et minutieux des pantalons ou des robes à zipper, obligeant les fesses à se caler sans bouger, aux mains adroites à attraper le papier afin de s’essuyer sans éclat puis distorsion finale pour tout refermer, se relever, s’extirper de ces petites cabines étroites où chacun craint de rester coincé en cas de chute inopinée de l’avion, coincé, ridicule et apeuré, à entendre les hurlements, masques à oxygènes arrachés, bouées prêtes à être gonflées, derniers messages d’amours tapotés, mon dieu, mourir dans ces toilettes, quasiment dénudé, sans portable et captif du mauvais côté, le crash du zinc, la fin, le bout du chemin, mais non, rien de tout cela ne va arriver, se rasseoir, se rendormir, ne pas y arriver, sentir la sueur suinter sous les aisselles, aller rire avec les hôtesses, trépigner, marcher de long en large, essayer les bouchons d’oreilles, les masques à yeux, tout enlever, soulever le hublot, contempler les astres, rêver de l’espace, ressentir le vide, le rien, rallumer l’écran, sombrer sur les images, perdre pied, lorsque brusquement, cinq, six, sept heures peut-être, brutalité des lumières, réveil des voisins, étirements, baillements, pleurs des petits, réajustements, vérification des messages téléphoniques, regards vers le petit déjeuner, bien empaqueté, odeur du café, chocolat, thé, croissants, pains beurrés, estomacs retournés, hublots relevés et la lumière jaillit dans le cockpit, sur les visages, dans le bleu des cieux et de nouveau, la voix du pilote, ceintures rattachées, la descente s’effectue, désagréables turbulences, cabrage, atterrissage, freinage, tour de piste, arrêt, ceintures dénouées, sacs à main, longs couloirs, pulls et blousons enlevés, passage à la douane, récupération des bagages, personnel souriant, accueillant, premiers mots en américain, premières blagues qui fusent « bienvenue en Amérique, je suis déjà allé à Paris, la Tour Eiffel, je parle un petit peu le français, un petit peu », montée dans la navette entre l’aéroport et la sortie, traversée de quelques secondes, portes et baies vitrées, soleil éblouissant, chaleur humide, aéroport gigantesque, ça y est, c’est l’Amérique, la Floride, le sud au bord de la baie de Tampa, de l’aéroport à l’hôtel, de grandes sortes d’autoroutes qui se croisent et se décroisent, longer le golfe du Mexique et la baie, voitures garées sur les plages, les corps à l’intérieur sur les sièges ou à côtés d’elles sur les serviettes étalés, hôtels pour touristes accompagnés de piscines bleues et jet ski à gogo, le rêve, air conditionné de la voiture, de la chambre d’hôtel, contraste violent avec la chaleur, avoir oublié de mettre des vêtements d’été dans les valises, juste quelques tee-shirts et une paire de lunettes, difficile en partant en plein mois de février de se préparer pour l’été !

A propos de Clarence Massiani

J'entre au théâtre dès l'adolescence afin de me donner la parole et dire celle des autres. Je m'aventure au cinéma et à la télévision puis explore l'art de la narration et du collectage de la parole- Depuis 25 ans, je donne corps et voix à tous ces mots à travers des performances, spectacles et écritures littéraires. Publie dans la revue Nectart N°11 en juin 2020 : "l'art de collecter la parole et de rendre visible les invisibles" voir : Cairn, Nectart et son site clarencemassiani.com.

2 commentaires à propos de “autobiographies #06 | vol de nuit.”

  1. Une parenthèse de temps que ce récit de voyage où l’on goute à plein le petit repas servi à point nommé, l’inconfort au fil des heures et l’angoisse du crash…
    après tout ça, on a bien mérité de se promener avec toi sur une de ces longues plages blanches du golfe du Mexique !

  2. Merci Françoise pour ton retour – Un peu difficile cette proposition je trouve – pas super satisfaite de mon écriture sur celui-ci – Une longue phrase avec trop de choses, j’aime quand c’est plus aéré mais j’ai aimé me remémorer le voyage malgré tout –

    J’ai préféré ton autobus !

    Bonne journée.