#L13 | au mouillage 0,1 et 2

Imprimé et recopié, deux fois comme dit dans la consigne. Mais avec en tête la suite de l'histoire, d'où le passage au "je". La méthode m'a beaucoup plu pour les petites corrections, vocabulaire, phrases trop longues ou trop courtes... Mais difficile pour moi de voir les gros changements à faire sur la structure du texte, parties entières à enlever, rajouter, changer. À combiner avec du gribouillage directement sur le texte imprimé ? Du mal aussi pour ça avec la structure en bloc. À apprivoiser et à adapter, sûrement... 

Remarques et suggestions vraiment bienvenues, positives comme négatives, merci d'avance pour votre aide

Au mouillage 0

La vitesse est bonne. Juste assez pour étaler la chaîne sur le fond de sable. Elle jette l’ancre dans l’eau calme et se recule. Pas de pied ou de main sur le mouillage qui file, elle connaît le danger. Elle a rejoint le cockpit pour accompagner à la barre le demi-tour du bateau quand il sera stoppé dans sa course par les frottements du mouillage sur le fond. Une fois à l’arrêt, reste à affaler la dernière voile, la ferler sans trop la ranger pour qu’elle puisse remonter le plus rapidement possible en cas de besoin mais sans pouvoir prendre le vent et faire du bruit cette nuit. Le résultat la fait sourire, elle repense au rôti savamment ficelé des repas de famille. La météo n’annonce rien de particulier mais on ne sait jamais. Ici aussi la prudence. Et un peu les habitudes. Le jour commence à tomber et avec lui l’humidité s’installe, se pose partout en pluie de cendres poisseuses. Le coucher de soleil n’a rien de spectaculaire, pas de rougeurs ni d’orangés, pas de nuages pour donner du relief au ciel uni qui passe du bleu au noir en se donnant à peine le temps du sombre. Il y aura des étoiles cette nuit. Elle a enfilé sa grosse veste, celle avec le col qui remonte bien haut pour y blottir la tête. Elle mange dehors, pain un peu sec, un bout de fromage, une bouteille d’eau. Et un verre de whisky. Juste un verre, pas la bouteille. Pas besoin de lumière, la lune sera pleine dans quelques jours, elle est déjà là. Dommage pour les étoiles d’ailleurs, ce sera mieux vers la fin de la nuit, mais pas sûr qu’elle ait le courage de se lever plus tôt. Pour l’instant, elle guette les phares qui s’allument, compte les éclats et les secondes. Elle se sourit à elle-même, elle n’a pas oublié, elle les reconnait tous. Chausey le premier. Elle repose son verre sur le banc en alu recouvert de lattes en bois patinées par les fonds de cirés et régulièrement décapées par l’eau salée. C’est poli et doux au toucher. Du bois, comme dans la forêt qui commence à gauche de la baie et vient presque jusqu’à la mer. Elle est assise d’un côté et a calé ses pieds sur le banc d’en face. Elle surveille le paysage. Tant que ses repères restent alignés, c’est que le bateau ne bouge pas. Bientôt la pleine mer, la renverse de courant. Elle surveille. Le château d’eau au fond et le pignon de la maison mangé de vigne vierge avec la grande porte vitrée qui ne donne sur aucun balcon. Cette porte du premier étage qu’on ne peut pas ouvrir mais qui ouvre une vue immense sur la mer depuis le grand canapé noir installé en face. Avec la fin du jour la vitre reflète la lumière rasante. Pour arriver à la maison elle sait le chemin dans les dunes, le sable sec qui retient chacun de vos pas en laissant juste un creux en guise d’empreinte. Plus haut entre les ronces et les fougères, ça sent l’humus quand il pleut et ça a le goût sucré et un peu âpre des mûres en été. Passée la chicane en bois qui ne permet l’accès qu’aux piétons, le chemin est plus large, plus solide que le sable de la dune. De quoi garer une voiture plaquée contre la haie toujours bien taillée mais faite du mélange des arbres qui ont bien voulu pousser là et accueillir les rosiers. Au bout de la haie, les deux solides poteaux et la porte bleue marine découpée en forme de vague avec le trou sur le côté pour y passer un antivol de vélo, changé régulièrement à cause de la rouille. La dernière fois elle était rose. Le code n’a pas dû changer. Passé le portail on est dans le jardin. La grande terrasse avec la longue table et ses chaises, le petit bout de potager ou jamais rien d’autre que les artichauts n’a dépassé le stade du maigrichon. Entre les deux hautes fenêtres menacées elles aussi par la vigne vierge, la porte, avec sa large vitre pour la lumière et pour être autant dedans que dehors. La porte est toujours ouverte ou la clé est sous le deuxième pot de fleur à gauche, celui avec les feuilles marrons d’un ancien fraisier. On entre face au poêle. À droite la plante verte qui veille sur la table basse et quelques fauteuils fatigués. À gauche la cuisine où on s’accoude sur le fin comptoir surmonté d’une planche sombre pour pouvoir poser son verre et discuter avec celui ou celle qui découpe les légumes ou qui gratte les moules ramassées sur les cailloux de la pointe qui termine la baie. 

Une dernière gorgée pour finir son verre de whisky, tourbe mais pas trop, de la place encore pour l´iode et la chaleur du sherry. L’Écosse des îles. La vaisselle est vite faite, le verre rincé à l’eau de mer, elle est fatiguée, elle va se blottir dans les odeurs familières de son duvet, bien calé dans la couchette cercueil côté table cartes. Cette nuit elle va peut-être se lever pour profiter des étoiles. On verra.

Au mouillage 1

Les vaguelettes du sable défilent sous les vaguelettes de l’eau. [1]La vitesse est bonne, juste ce qu’il faut pour que la chaine s’étale sur le fond. Je jette l’ancre qui fait onduler la surface et je me recule. Pas de pied ou de main sur le mouillage qui file, jamais, jamais plus… Je rejoins le cockpit pour accompagner à la barre le demi-tour du bateau lorsqu’il fera tête. Faire tête. Je préfère et de loin, le « faire tête » des bateaux au « volte-face » des humains. Une fois à l’arrêt, reste à affaler la dernière voile, la ferler sans trop la ranger pour qu’elle puisse remonter très vite en cas de besoin. Juste ce qu’il faut pour qu’elle ne puisse pas prendre le vent ni faire du bruit cette nuit. Le résultat de ce saucissonnage me fait sourire : on dirait le rôti savamment ficelé des repas de famille quand j’étais petite. 

Pour cette nuit la météo n’annonce rien de particulier, comme pour la semaine à venir : tranquille. Mais je préfère quand même pouvoir partir vite. La prudence et aussi un peu les habitudes. Le jour commence à tomber et l’humidité s’installe, prend ses aises, se dépose partout en pluie de cendres poisseuses. Le coucher de soleil n’a rien de spectaculaire, pas de rougeurs ni d’orangés, pas de nuages pour donner du relief au ciel uni qui passe du bleu au noir sans se donner la peine de passer par l’intense de l’heure bleue. Il y aura des étoiles cette nuit. Et il va faire froid. De ces premiers froids d’automne, qui ne sont pas si froid mais qui viennent nous surprendre quand on est encore habitués aux chaleurs de l’été.[2] J’ai enfilé ma grosse veste, celle avec le col qui remonte et dans lequel je peux blottir ma tête. J’ai toujours bien aimé me cacher dans les capuches. Emmitouflée, je n’aurais pas froid, même si je ne bouge pas. Je peux manger dehors, « en plein air », [3]comme disent les gens enfermés des villes, en regardant le paysage comme si j’étais de quart de nuit, mais sans avoir à me concentrer, à faire attention. Pour manger il ne me reste pas grand-chose et je n’ai pas envie de cuisiner, pain un peu sec, fromage, une bouteille d’eau. Parfait. Et un verre de whisky. Juste un verre, pas la bouteille. Juste pour le goût, pas pour l’ivresse.

Pas besoin de lumière. La lune sera pleine dans quelques jours et elle est déjà bien dodue. Dommage pour les étoiles d’ailleurs, peut-être en fin de nuit, si j’ai le courage. Pour l’instant, je guette distraitement les phares qui s’allument, sans y penser, presque par reflexe, je compte les éclats et les secondes. Et je les reconnais tous, comme de vieux amis dont on a des nouvelles par hasard. Chausey en premier, grande île, un éclat blanc toutes les cinq secondes. Une dernière gorgée de whisky. Un peu d’iode, pas de tourbe, presque l’odeur de la prune de tante Agnès, « tati brouillard » qui vivait dans sa vallée de l’Ain. C’est brut et poli comme les lattes de bois du banc, décapées et cirées par tant de pantalons et encore plus de vagues. Couleur bois patiné, humus, forêt, automne.[4]

Je suis assise à ma place préférée. Bien calée sur un banc, les pieds sur le banc d’en face. Le bateau à un peu tourné, pas de vent, plus beaucoup de courant, bientôt la pleine mer, je surveille le paysage sans y faire vraiment attention, par réflexe. Mes repères restent alignés, je leur concède un regard de temps en temps. Le chapeau du château d’eau au fond vient se poser sur le toit de la maison, tout en haut du pignon mangé de vigne vierge, comme autrefois. [5] Étonnant ce mot que je viens d’écrire, autrefois. Ça fait un peu chevalier, moyen âge, château. Ça colle parfaitement avec le château d’eau finalement. Château d’Eau… [6] Histoires d’avant. Ça me parait si loin. Mais c’est toujours la même maison, la façade au moins n’a pas changé. Ensuite il y avait la grande porte vitrée qui ne donnait sur aucun balcon mais donnait de la lumière et envie de sortir, ou l’impression d’être dehors même depuis le grand canapé noir tout avachi installé juste en face. Ce soir la lumière rasante se reflète dans le haut de la vitre, les buissons cachent le bas. Pour arriver à la maison, il y avait un chemin dans les dunes, le sable sec qui retenait chacun de nos pas en laissant juste un creux en guise d’empreinte. Plus haut entre les ronces et les fougères, ça sentait l’humus quand il pleuvait et ça avait le goût sucré un peu âpre des mures pas complètement mûres en été. Passée la chicane en bois qui ne permettait l’accès qu’aux piétons, le chemin était plus large, plus solide sous les pieds que le sable de la dune. De quoi garer une voiture bien plaquée contre la haie, toujours plus ou moins taillée, mélange des arbres qui ont bien voulu pousser là et accueillir des rosiers. Au bout de la haie, les deux solides poteaux et la porte bleu marine découpée en forme de vague avec juste un trou sur le côté pour passer un antivol de vélo, changé régulièrement à cause de la rouille. La dernière fois il était rose. Je me souviens même du code : 3522, nos départements préférés. Passé le portail, on était dans le jardin. La grande terrasse avec la longue table et ses chaises, le petit bout de potager où jamais rien d’autre que les artichauts n’avaient dépassé le stade du maigrichon. Entre les deux hautes fenêtres de la façade, menacées elles aussi par la vigne vierge, la porte avec sa large vitre, pour la lumière et pour être autant dehors que dedans. La porte était toujours ouverte, sinon la clé était sous le deuxième pot de fleurs à gauche, celui avec les feuilles marrons et les tiges fanées d’un ancien fraisier. On entrait face au poêle. À droite la plante verte qui veillait sur la table basse à côté des fauteuils avachis. À gauche la cuisine où on s’accoudait sur le fin comptoir surmonté d’une planche épaisse et sombre pour pouvoir poser son verre et discuter avec celui ou celle qui découpait les légumes ou qui grattait les moules ramassées sur les cailloux de la pointe qui ferme la baie, là, juste devant moi. [7]Mon verre de whisky est vide, mais encore rempli de l’odeur de la tourbe, du sherry, de l’Écosse, des îles. La vaisselle est vite faite, rinçage à l’eau de mer et je vais me coucher, retrouver la chaleur de mon duvet, ma couchette cercueil à côté de la table à cartes.

Je me lèverai peut-être pour les étoiles, à la fin de la nuit. On verra. 


[1] C’est ce que je vois en me mettant à la place du personnage qui maintenant dit « je », essai d’une nouvelle construction avec des chapitres qui vont par deux, un « je » et un « tu » qui jouera le rôle de négatif, de « petite voix » pour les personnages, de développement d’un détail, de point de vue différent dans tous les cas.

[2] C’est le temps qu’il fait en ce moment. Encore chaud au soleil dans la journée, mais le soir on commence à penser à retrouver les bonnets et les grosses vestes. 

[3] Deux enfants étudiants qui sont rentrés à la maison ce week-end et ont eu besoin, pas juste envie, et tous les deux, de rester de longs moments dehors, d’aller se promener dans la forêt, châtaignes, champignons, sieste dans l’herbe…

[4] Ici j’ai hésité à couper, l’impression qu’il y a deux temps distincts dans ce chapitre

[5] Avec le « je », l’impression d’écrire un journal….

[6] Château d’Eau, idée à fouiller ? pas de château d’eau à la montagne, un château pour l’eau, la précieuse…

[7] J’hésite à finir ici comme la baie se referme. Pour l’instant je garde encore la fin, rentrer dans le bateau, aller se coucher, finir la journée.

Au mouillage 2

Les vaguelettes de sable s’effacent sous les vaguelettes d’eau. La vitesse est bonne, juste ce qu’il faut pour que la chaine s’étale sur le fond. Je jette l’ancre qui affole la surface et m’éloigne. Pas de pied ou de main sur le mouillage qui file, jamais, jamais plus… Retour à l’arrière pour accompagner à la barre le demi-tour du bateau lorsqu’il fera tête. Faire-tête. L’expression me plait, il faudrait que je la note. Une fois à l’arrêt reste à affaler la dernière voile, la ferler sans trop la ranger pour qu’elle puisse remonter très vite en cas de besoin. Juste ce qu’il faut pour qu’elle ne puisse pas prendre le vent ni faire du bruit cette nuit. Le résultat de ce saucissonnage me fait sourire, on dirait le rôti savamment ficelé, témoin toujours placide des drames souterrains qui se jouaient durant les repas de famille lorsque j’étais petite.[1]

Pour cette nuit, la météo n’annonce rien de particulier, tout comme pour la semaine à venir. Octobre, le calme entre l’excitation des grandes marées et les tempêtes d’hiver. Le jour commence à tomber et l’humidité s’installe, prend ses aises, se dépose partout en pluie de cendres poisseuses. Le coucher de soleil n’a rien de spectaculaire, pas de rougeurs ni d’orangé, pas de nuages pour donner du relief au ciel uni qui passe paresseusement du bleu au noir sans se donner vraiment la peine de l’heure bleue. Il y aura des étoiles cette nuit. Et il va faire froid. De ces premiers froids d’automne, pas réellement froids, mais qui surprennent les peaux bronzées encore habituées aux chaleurs de l’été. J’ai enfilé ma grosse veste, celle avec le col qui remonte et dans lequel je peux enfouir ma tête. J’ai toujours bien aimé me blottir dans les capuches et les hauts cols. Emmitouflée, je n’aurai pas froid, même si je ne bouge pas. Je peux manger dehors, « en plein air », et rêver le paysage. Un peu comme si j’étais de quart de nuit mais sans avoir à me concentrer, à faire attention. Pour un repas rapide il ne me reste pas grand-chose et je n’ai pas envie de cuisiner. Tant pis. Pain un peu sec, fromage, une bouteille d’eau, une petite grappe de raisin. Parfait. Et un verre de whisky. Je sors juste un verre, pas la bouteille. Seulement pour le goût, pas pour l’ivresse.

Pas besoin de lumière non plus, la lune sera pleine dans quelques jours et elle est déjà bien dodue. Dommage pour les étoiles d’ailleurs, peut-être en fin de nuit, si j’ai le courage de me lever. Pour l’instant je guette distraitement les phares qui s’allument, sans y penser, presque par réflexe. Compter dans la tête les éclats et les secondes, comme pour les orages, le temps entre éclair et tonnerre. Savoir, même si ça n’a aucune réelle importance à ce moment-là. [2]Les phares, je les reconnais tous, comme de vieux amis dont on a des nouvelles par hasard, dont un met un peu de temps à retrouver le nom alors qu’on a déjà leur visage en tête. Chausey en premier. Grande île, un éclat banc toutes les cinq secondes. La maison grise, la petite tour, la lentille, le chapeau verdâtre. Montée de souvenirs. Chausey, mon premier vrai whisky. Tourbe, iode, une idée proche de la prune de tante Agnès qu’on appelait « tati brouillard » et qui n’a jamais voulu quitter sa vallée de l’Ain. Aujourd’hui, un peu moins de tourbe que ce jour-là, c’est brut et poli comme les lattes de bois du banc, décapées et cirées par une infinité de fonds de pantalons et encore plus de vagues. Couleur bois patiné, humus, forêt, automne.

Je suis bien. Immobile, assise à ma place préférée. Les fesses bien calées sur un banc, les pieds sur le banc d’en face. Le bateau a un peu tourné, pas de vent, plus beaucoup de courant, bientôt la pleine mer. Je surveille le paysage distraitement, par réflexe, sans y faire vraiment attention, mais je sais que mes repères restent alignés. 

Au-dessus de l’herbe des dunes, j’ai retrouvé la maison sans problème, sans vraiment la chercher sur cette côte que je connaissais si bien. Son pignon est toujours mangé de vigne vierge. La façade n’a pas changé. Mes souvenirs sont intacts et reviennent au fur et à mesure que j’essaye de reconstituer l’endroit, alors que je pensais avoir tout oublié de ces détails qui me font sourire bêtement, toute seule sur mon bateau. Au milieu de cette façade, il y a toujours la grande porte vitrée qui ne donne sur aucun balcon, mais donnait de la lumière et l’impression d’être dehors même depuis le grand canapé noir tout avachi installé juste en face. Ce soir la lumière rasante se reflète dans le haut de la vitre, des buissons cachent le bas. Ça a bien poussé.[3]

Pour arriver à la maison depuis la plage, il y avait un chemin dans les dunes, le sable sec qui retenait chacun de nos pas en laissant juste un creux en guise d’empreinte. Plus haut entre les ronces et les fougères, ça sentait l’humus quand il pleuvait et ça avait le goût sucré un peu âpre des mures pas complètement mûres au début de l’été. Passée la chicane de bois qui ne permettait l’accès qu’aux piétons, le chemin était plus large, plus solide sous les pieds que le sable de la dune. De quoi garer une voiture bien plaquée contre la haie toujours plus ou moins taillée, mélange heureux de tous les arbres et arbustes qui ont accepté de pousser là et d’accueillir les rosiers. Au bout de cette haie, les deux solides poteaux et la porte découpée en forme de vague avec juste un trou sur le côté pour y passer l’antivol de vélo qui servait de serrure. L’antivol changeait régulièrement à cause de la rouille, mais le code restait le même : 3522, nos départements préférés.

Passé le portail, on était dans le jardin. La grande terrasse avec la longue table et ses chaises, le petit bout de potager où jamais rien d’autre que les artichauts n’avait dépassé le stade du maigrichon. Entre les deux hautes fenêtres de la façade, elles aussi menacées par la vigne vierge, la porte avec sa large vitre, pour la lumière et pour être autant dehors que dedans. Cette porte était toujours ouverte, sinon, la clé était sous le deuxième pot de fleurs à gauche, celui avec les feuilles marrons et les tiges fanées d’un ancien fraisier.

On entrait face au poêle. À droite la plante verte qui veillait sur la table basse à côté des fauteuils fatigués encombrés de coussins. À gauche la cuisine où on s’accoudait sur le fin comptoir surmonté d’une planche épaisse et sombre pour pouvoir poser son verre et discuter avec celui ou celle qui découpait les légumes ou qui grattait les moules ramassées sur les cailloux de la pointe, là, juste devant l’étrave de mon bateau.

Mon verre de whisky est vide, mais encore rempli de l’odeur de la tourbe, de l’Écosse, de l’île d’où il vient. La vaisselle est vite faite, juste un rinçage à l’eau de mer et je vais me coucher. La traversée aujourd’hui a été tranquille, mais je suis fatiguée, hâte de retrouver la chaleur de mon duvet, ma couchette cercueil à côté de la table à cartes. Je ne sais pas ce que seront mes rêves, ma tête est déjà remplie de souvenirs qui sortent du brouillard, des odeurs comme des lieux que je retrouve et qui prennent consistance et couleurs depuis que j’ai revu le pignon de la maison.

Pas sûre de me lever pour les étoiles à la fin de la nuit. On verra.[4]


[1] Piste à exploiter plus tard, le personnage évolue dans ma tête, Bé prend de l’épaisseur, elle a maintenant un passé mieux garni que lors des deux autres versions précédentes du texte. En particulier, la raison pour laquelle elle a quitté la montagne pour la mer.

[2] Où que je sois, c’est un réflexe que j’ai moi aussi, les secondes de l’orage et les périodes des phares : les éclats sur les doigts et les secondes dans la tête…

[3] La végétation comme marque du temps

[4] Se coucher le soir avec une idée ou un souvenir en tête et laisser le sommeil faire le reste du travail…

A propos de Juliette Derimay

Juliette Derimay, lit avidement et écrit timidement, tout au bout d’un petit chemin dans la montagne en Savoie. Travaille dans un labo photo de tirages d’art. Construit doucement des liens entre les images des autres et ses propres textes. Entre autres. À retrouver sur son site les enlivreurs.