autobiographies #07 | l’album de mes portes

Je ne me souviens pas d’une porte première, originelle, majeure –, mais tout à coup des portes ont surgi dans ma vie. De toutes parts. Aujourd’hui, j’habite une maison où il n’y a pas de portes en dehors de celles qui donnent sur le dehors.

toute petite, je ne la vois pas, parce qu’elle est cachée derrière le mur du couloir en briques de verre, mais j’entends, clic-clac, la porte palière. Mon père qui sort, qui rentre. La sonnette. La visite de M. et Mme P., les voisins gentils du dessous. L’autre porte de cette époque est celle de Mamie P. qui me garde parce que maman travaille. Je ne la vois pas non plus, mais elle est tout en haut d’un escalier de marches géantes. Maman me donne la main pour monter, j’arrive un peu essoufflée. Maman sonne. Mamie P. ouvre. Dans l’encadrement, comme le cadre d’un tableau, un autre monde. Le guéridon sous la lampe, avec les photos encadrées (dans le tiroir, il y a L’étoile mystérieuse et Objectif lune). Des rideaux comme au théâtre.

Combien de chambres d’hôtel dans ma vie de voyage ? Combien de portes différentes avec des numéros ? Mille et tre ? Mille et tre cento sans doute. Univers d’ascenseurs, de couloirs aux musiques glissantes, d’odeurs de viennoiseries et de détergent –en Inde, la naphtaline et l’humidité; en Chine, le vinaigre de riz et des remugles qu’on essaie d’oublier. De la moquette, des morceaux de dehors encadrés par des fenêtres.

1965. Nous emménageons dans le monde de portes de la cité de la Bastide. Des barres et des tours avec des portes en verre sous des porches, des portes d’ascenseur. Les portes sont les mêmes pour tous les appartements. Marron, avec la sonnette, le nom sur la porte et le paillasson.

Florence, à quelques rues du Duomo. Débarquée du train de nuit un dimanche, je détiens les clefs d’un août florentin : une grande pour la porte sur rue ; une petite pour l’appartement. Je ne me souviens pas de la seconde, très bien de la première. Une imposante porte cochère en bois qui oppose une résistance farouche à toutes mes tentatives d’ouverture. La clef tourne dans la grosse serrure métallique. Rien ne se passe. Rue d’un dimanche d’août. Désemparée. Combien de temps ? Soudain, au bout de la rue, un passant. Il se dirige vers moi. Il comprend mon italien inventé –prego, un colpo di mano—et ouvre la porte de mes vacances italiennes en souriant. Celle de l’appartement ne m’offre aucune résistance.

L’encadrement des portes-fenêtres. Sur les arbres de notre premier jardin ; sur celui de ma mère ; sur le mien.

Sans portes aucunes, les toilettes en Chine.

Les portes de placard, d’armoire –dont les petites armoires de toilette à miroirs accrochées au-dessus des lavabos.

Au lycée, nos portes de casier de demi-p. Et les portes du dernier palier qu’on ferme après la cantine pour écouter les Beatles sur un tourne-disque en haut de l’escalier.

(à suivre…)

A propos de Catherine Bourzat

D’abord l’Asie, inconditionnellement. Plus d’un tiers de ma vie. Des voyages, des textes, des images, des publications. Depuis quinze ans, le grand saut : quitter Paris pour la vie à la campagne, la passion jardin, les chemins. Un jour, j’ai poussé la porte d’un atelier d’écriture dans un village du Quercy, puis d’un atelier virtuel avec le confinement. Et me voici aujourd’hui, intimidée et enthousiaste face à ce grand bouillonnement, avec l’envie d’y faire un bout de route.

4 commentaires à propos de “autobiographies #07 | l’album de mes portes”

  1. … des portes bien pittoresques – certaines connues, d’autres découvertes, d’autres totalement oubliées ! Merci pour ce parcours.

  2. Catherine, quel plaisir de vous lire à quelques mètres du Duomo, j’aime ces coincidences, merci pour vos portes.