autobiographies #08 | égalité

le rebond de la balle sur la terre battue du cours ;  le choc du caoutchouc sur les cordes tendues de la raquette ; toutes les têtes du même côté ; le sifflement de la petite sphère à travers l’air ; toutes les têtes de l’autre côté ; le bruit du caoutchouc sur la terre brique ; la fulgurance du jaune fluo qui echappe au joueur en blanc ; l’exclamation enflée de la foule ; un son entre oh et ah ; une voix neutre et mécanique énonce un nombre et une lettre ; la foule en blanc tourne la tête ; choc, caoutchouc, jaune, fusée, siflle, ahanne, tournent les têtes, rebond, oh, ah, raquette, lunettes de soleil, casquettes, rebond, l’autre côté, filet ; la voix neutre et mécanique dit « avantage » et un nom compliqué ; le soleil fait éclater le blanc ; « Let! » ; rebond, rebond, rebond, lance vers le haut, tape ; la petite sphère jaune s’envole, une paire de jambes court, une chaussure blanche glisse ; trace de glissade sur la terre rouge ; la sphère jaune frôle la ligne blanche et s’écrase plus loin ; les poitrines haletent ; égalité 

l’odeur de la poussière de craie ; le parquet usé ; les portes battantes au petit hublot rond où se répandent en sens contraire le flot des étudiants qui sortent, le flot des étudiants qui entrent ; les bancs de bois lustré qui s’étagent en arrondi ; la salle s’appelle un amphithéâtre ; le tableau qu’on dit noir, qui est vert et immense ; l’homme debout devant, cheveux corvins, lunettes rondes ; le son clair de sa voix ; sa main qui décrit des figures dans l’air ; ses doigts serrés sur une craie ; son dos pendant qu’il écrit au tableau ; la transpiration des jeunes corps ; le bruit du frottement des blue jeans sur le vernis des bancs ; un éternuement ; l’attention de l’assistance, palpable ; un brouhaha, des rires ; un tableau encore plus immense au-dessus de l’autre ; un tableau de peinture ; il représente des figures féminines éthérées et drapées, dans des poses à la fois rigides et langoureuses ; au milieu d’elles, un éros ailé et un jeune dieu nu ; la muse de droite porte une lyre ; les autres murs sont ronds ; s’y ouvrent des niches ; s’y accrochent des moulures ; quelques statues aussi ; le plafond est voûté, avec une verrière ; l’amphithéâtre Richelieu ; la Sorbonne ; Paris

quatre étages en colimaçon ; des marches déformées par le temps ; la porte d’entrée ouvre directement dans la pièce principale ; la lettre L ; la forme de cette lettre ; la pièce a cette forme ; la porte est au bout du petit côté du L ; dans le creux du L se trouve la cuisine ; à droite en entrant ; une autre porte juste en face à l’entrée ; intérieure ; cette porte intérieure est dans le dos du L ; elle donne sur un petit couloir avec la salle de bain à gauche ; la chambre à droite ; trois fenêtres à égale distance ; dans la chambre ; dans la pièce principale au bout du grand côté du L ; dans la cuisine ; en entrant on ne voit aucune fenêtre ; pour cela il faut soit ouvrir la porte de la cuisine, soit avancer pour arriver à l’angle de la pièce en L ; les trois fenêtres donnent sur une cour ; la cour est grise ; le ciel est bas ; la salle de bain est aveugle ; la porte d’entrée claque ; la pièce principale est principalement occupée par un piano ; le piano est un quart de queue ; une table ovale se tasse près de l’entrée  ; le plateau de la table est en marbre veiné ; les pieds de la table sont arqués, en métal noir, décorés de motifs végétaux ; une table bistrot ; les chaises ont des pieds assortis ; elles sont garnies de coussins ronds ; les coussins sont blanc crème ; leur couleur rappelle celle du plateau de la table ; une lampe est posée sur le piano ; elle a un abat-jour en tissu, uni, sans fioritures ; les murs sont tapissés d’étagères pleines de livres ; à droite de la porte du couloir se trouve un canapé ; en face du canapé, la télévision ; entre les deux, la fenêtre ; les toits par la fenêtre sont de zinc ; un fauteuil à bascule en bois clair ; au-dessus du canapé, une reproduction d’un tableau de Franz Marc ; le cheval est bleu ; le paysage est fauve ; de l’autre côté du mur se trouve la chambre ; sur le mur côté chambre, un autre cadre est suspendu ; il représente la mer ; le lit est double ; il prend presque toute la largeur de la pièce ; il n’y a pas beaucoup de place pour le bureau et la machine à écrire ; la penderie est dans un placard ; les murs sont blancs ; quelqu’un est assis sur le tabouret du piano ; quelqu’un d’autre dans le fauteuil à bascule ; la lampe est allumée ; le diamètre du cercle de lumière sur le piano est plus grand que celui de l’abat-jour

A propos de Laure Humbel

Dans l’écriture, je tente de creuser les questions du rapport sensible au temps et du lien entre l’histoire collective et l’histoire personnelle. Un élan nouveau m'a été donné par ma participation aux ateliers du Tiers-Livre depuis l’été 2021. J'ai publié «Fadia Nicé ou l'histoire inventée d'une vraie histoire romaine», éd. Sansouire, 2016, illustrations de Jean Cubaud, puis «Une piétonne à Marseille», éd. David Gaussen, avril 2023. Un album pour tout-petits, «Ton Nombril», est paru en octobre 2023 (Toutàlheure, illustrations de Luce Fusciardi). Le second volet de ce diptyque sur le thème de l'origine, prévu au printemps 2024, s'intitulera «BigBang». Actuellement, je travaille à un texte qui s'alimente de la matière des derniers cycles d'ateliers.

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