autobiographies #08 | tout près du Canigou

image issue du film « On dérange personne », Lisa Diez, 2012

la table rectangulaire de bois lourd; plan disparu sous la toile cirée grise et rouge fleurs éternelles; pieds de bois sombre sculptés en arabesques; bouquet encadré au dessus de la fougère en plastique; un homme à pipe de Van Gogh tissé regarde la cheminée; plaid bouloché étalé en bout de table près de la fenêtre et de la seule chaise munie d’accoudoirs; L’Indépendant ouvert bien à plat sur le plaid page des mots croisés; supplément du dimanche parallèle au bord du plaid; sourire blanc des gens qui posent sur le supplément du dimanche; fond doux d’horloge; pas frottés dans la cuisine; la machine à laver tourne l’eau; personne ne soulève la toile pour regarder ce plan de table à jamais neuf; lustre à huit ampoules en forme de flammes; une sauce mijote olives tomates ail; le tiroir du buffet où se rangent géométriquement la règle le scotch la calculette le crayon la gomme le coupe-papier les billets préparés pour les petits enfants; les clefs ne quittent pas les deux serrures; c’est le soir; la télé et les faux lustres s’allument; les aiguilles la laine et le coton s’agitent; c’est aussi l’heure du sucre; ouvrir le placard de droite; tintement métallique; grincement de la portière; fumet aigre de bois de caramel de menthe de friandises multicolores parmi la vaisselle en porcelaine et les albums photos; petits paniers d’osier boites en fer en plastique sachets de toutes tailles; source intarissable des bonbons produits par le ventre du buffet; 

la large porte s’ouvre grâce à une ficelle blanche qu’il suffit de tirer vers la gauche; odeur fraiche de rouille de vernis de white spirit d’alcools; fatras ordonné dans l’obscurité; établi solide vieux; outils suspendus; sol en béton nu rugueux tâché d’huile; milliers de tiroirs titrés remplis de clous vis écrous joints élastiques mousses scotchs rubans petit vrac indéfini peintures colles bâches; étagère en ferraille bouteilles vertes poussiéreuses de muscat et de vin étiquetées à la main; les cannes à pèche alignées sous la mezzanine où sommeillent les relax les gros cartons les rouleaux les matelas les monticules de sarments de vigne; étagères infinies; vieilles cocottes fers à repasser chapeaux de paille gants balais manches cadis roues roulettes; congélateur garni de viandes de sorbets à l’abricot; placards aux confitures et conserves – assez pour tenir un long siège;

la porte en bois léger s’ouvre sur l’escalier aux douze marches; le bois des deux premières craque fort;  les deux dernières sont muettes; une large corde tressée chemine le long du mur de gauche; papier peint rugueux aux lignes vertes et beiges; interrupteur rond et doux; minuscule cliquetis cotonneux; lampion noir ampoule jaune; pommeaux de fer où passe la corde tous les mètres; à droite le mur est tapissé de carrelage; on tire une chasse derrière; porte claquée pleine de sous-entendus; elle doit rester fermée;

A propos de Lisa DIEZ

Chercheuse polyvalente, sorte d'artiste tout-terrain. Valises posées depuis 5 ans dans les arts de la scène. Passages par la peinture, la réalisation documentaire, la photo, la médiation artistique… et l’écriture, soutien fidèle de ces nombreuses traversées. Deux sites : www.soinartistique.fr (Collectif ALS) et www.atelierdiez.com (vrac et chantiers).