autobiographies #09 | Solve e coagula

Le médecin a ouvert la porte alors que tu es encore en train de retirer ta carte Vitale du lecteur et que tu n’as même pas enfilé ton manteau. Il appelle le prochain patient au moment où tu franchis le seuil. Tu ne sors pas, mais retournes dans la salle d’attente. Tu veux relire ce que quelqu’un a écrit dans la poussière de la vitre. « Save Tibet ». Un train fait trembler le paysage à l’arrière-plan. Assis par terre, un enfant dessine au feutre violet un trompe-l’œil. Celui-là même que je te décrivais quand je te racontais mon voyage à Rome alors que nous étions sous la pluie. Pour passer, il faut baisser la tête. Le plafond est très bas. À l’intérieur, il fait noir et tu reconnais l’odeur familière. La cave du Pradeau. À droite, le bac où André conserve les pommes de terre. Tu butes dans le noir sur l’échelle en bois. En haut, les gens font la queue. Ceux-là sont attendus à Pékin. Toi dans le sud. Tes doigts palpent dans ta poche la clef de la porte de communication avec le 7e étage. Vous n’êtes que trois à l’avoir. Les gardiens de l’immeuble, M. Calloux et toi. Sur l’écran de la cabine, des noms de villes sibériennes se dressent comme une allée de stèles. Tu tires sur une cigarette en regardant le temps qui se déplace de l’autre côté du hublot. La moquette est marron, avec le sigle de la compagnie. Pirouette cacahouète. Une araignée tricote dans le vide au fond du placard. La chambre est dans le jour d’avant. Calcutta endormi. Elle est petite et sent le ciment et la naphtaline. La couverture est rugueuse, la rue silencieuse. La grille de la fenêtre filtre la lumière jaune. Rêve de centaure. En effet. La porte est grande ouverte et dessus on lit « fridzire ». Et peut-être un renard qui aboie pour te dire qu’il est tard et que tu marches trop près. Tu souffles sur la poussière d’un magazine ramassé par terre. Des papillons ternes s’envolent. Le froid de la prison te saisit. De même que ce village rue, arrêté, incertain et tellement laid. Et ce pigeon prisonnier de la vitrine du magasin en contrebas du marché Saint-Pierre. Tu entres. Tu lui parles doucement et le libères de sa condition. Des phares éclairent le tissu de la cabine d’essayage. Un imprimé de cygnes et de Mickey sur damier. Ascenseur, grille, liftier. Nilhat House. 6th floor. Une leçon d’attente dans une forteresse nocturne. Tu t’égares dans un éclat de conversation. Au sous-sol, la lumière descend du plafond. 23, 27. Il manque une page à ce livre. De toute façon, tu l’as oublié dans le taxi qui t’emmenait dans la nuit vers l’aéroport Imam Khomeini.

A propos de Catherine Bourzat

D’abord l’Asie, inconditionnellement. Plus d’un tiers de ma vie. Des voyages, des textes, des images, des publications. Depuis quinze ans, le grand saut : quitter Paris pour la vie à la campagne, la passion jardin, les chemins. Un jour, j’ai poussé la porte d’un atelier d’écriture dans un village du Quercy, puis d’un atelier virtuel avec le confinement. Et me voici aujourd’hui, intimidée et enthousiaste face à ce grand bouillonnement, avec l’envie d’y faire un bout de route.

6 commentaires à propos de “autobiographies #09 | Solve e coagula”

    • Merci ! C’est un encouragement. Je suis encore intimidée. Mais toujours pleine de curiosité pour ce grand magasin qui déborde d’outils à essayer. J’espère écrire plus long. Ça viendra.

  1. Très agréable moment de lecture. Merci. J’aime voyager dans votre texte, et passer d’un endroit à l’autre, du sensible (chez le médecin, la prison…) à ce qui raconte la vie dans sa légèreté (un enfant qui dessine, une araignée qui tricote dans le vide…).