autobiographies #04 | dédale

Non. Voilà bien un mot que j’aime : non. Te souviens-tu de ton premier Non ? Cette colère en moi enterrée mais pas morte, ça ressort au moment où on s’y attend le moins et c’est bon, non, un choc qui vient du ventre, de profond. Le téléphone a sonné, j’ai commis l’erreur de décrocher et depuis la phrase précédente, je continue d’écrire tout en écoutant la voix au bout du fil (le covid remonte troisième injection tu manges du saucisson toi un bâton de berger ça te va ?), faisant de brèves réponses  (ah, tiens, ah bon, pas trop, d’accord), en essayant de garder le fil. Ni terreur ni pitié. Pain de mie, cornichons. Colère plutôt. J’en parlais justement. À imaginer ces personnes qui un jour décident de quitter leur pays, on quitte son pays en gros pour deux types de raisons : partir vers et se sauver de. Il fait beaucoup plus froid aujourd’hui ça sent l’hiver, au bout du fil on cherche du vinaigre on doit être dans une grande surface, dans les allées bordées, la voix dit quelle merde de faire les courses, d’alignements de boîtes multipliées à l’infini, l’enfer doit être construit sur ce modèle. De s’en arracher, et même des enfants de 11 ans en Erythrée par exemple, traversant le désert dans la benne d’un camion et s’il n’y avait que le désert.. mais c’est seulemment la première étape initialement destiné au transport des déchets pour aller vers le nord, le nord, j’ai perdu le nord la boussole indique toujours le nord, c’est vers le nord qu’ils sont allés depuis le début les hommes n’est-ce-pas, laissez moi vérifier : l’ Homo erectus semble avoir suivi les migrations d’animaux vers le nord pendant les périodes plus humides, probablement comme source de nourriture charognée. Nourriture charognée dans grandes surfaces aux noms sympathiques assortis d’un slogan Dépenser moins sans aller loin L’avantage du coin c’est qu’il est du coin votre magasin ouvert de 7 h à 23 h avec les caissières Philippines ou Tamoules à l’air ensommeillées (androïdes?), vers une vie supposée plus vivable ou moins mortelle, vers un pays où on n’est pas obligé de faire son service militaire toute la vie, esclave ou soldat, ou les deux. Je suis bien ici, bien à l’abri, la plante grasse pousse étonnament vite ainsi que l’habituel fatras sur la table et la grosse cruche qui fait pied de lampe avec la photo de Maurice Ponge en noir et blanc posée devant, son air suspendu. Les uns sur les autres entassés, un numéro à l’encre bleu sur le gras du bras, peut-être faudrait-il mettre Marqué sur le gras du bras ou Imprimé puisque c’est à l’encre bleue, je dois avouer que cette histoire d’encre bleue sur le gras du bras je l’ai rajoutée pour faire vécu en réalité j’avais lu le récit d’un jeune homme, son périple depuis le Mali, il disait qu’ils étaient une trentaine dans le camion et on leur avait donné à chacun un numéro et le jeune homme mentionnait que c’est à ce moment là seulement qu’il avait pris conscience qu’il quittait sa famille et Peut-être même son identité avait-il ajouté. Dans l’immensité torride, buvant aux haltes l’urine des chameaux pour ne pas mourir ça, ça vient du récit d’une jeune femme, Julienne, elle dit aussi avoir vu douze types sur une fille dans les toilettes d’un restaurant mais quand… quand, à quel moment de l’histoire, ou de la préhistoire, certains humains se sont-ils raconté que certains autres étaient des animaux, avec le présupposé que les animaux sont inférieurs à l’homme, c’est ce que nous disent les religions monothéistes rangeant la femme aussi dans la case des animaux pour ce qui est de l’infériorité et d’un certain nombre d’autres choses, sauf pour la sainte Vierge évidemment mais Marie est un avatar de la déesse Isis qui d’ailleurs couchait avec son frère et… on s’en fout ça la regarde. Millénaires d’esclavage, colonialisme, exploitation de ceux-ci par ceux-là qui possèdent le pouvoir des banques et des armes je sais, ça fait toujours un peu Neuneu ce genre de discours, comme sur le traitement inhumain des poulets dans les fermes industrielles et l’abattage des arbres selon des critères de rentabilité alors que la forêt a besoin des plus faibles pour garder son équilibre et ce n’est pas, loin s’en faut, la politique des DRH dans les entreprises mais qu’est-ce-que vous voulez qu’on y fasse on y peut rien c’est la société, la pente naturelle de toute société est d’évoluer vers la barbarie, la preuve c’est qu’elles disparaissent toutes, les sociétés, à un moment ou à un autre et qu’est-ce-que j’étais en train de copier ? Décideurs, leaders, Pères Blancs, Missions Étrangères, prêts, investissements, guerres, cette énumération m’étant dictées par les lectures que je peux faire d’articles de presse ici ou là (et le choix n’est pas si vaste qu’il y paraît), et de la réalité que je reconstruis à partir de ce fatras sans en comprendre le mécanisme bien entendu, ajustements structurels, famines, routes et camions nécessaires à l’acheminement des richesses pillées… ma chaise grince quand je me balance le tronc d’avant en arrière, ce que j’ai tendance à faire lorsque je réfléchis, et plus profonde ma réflexion, plus large le balancement et plus éloquent le grincement de la chaise qui semble ponctuer le déroulement de mes idées avec des sons courts Ah, Ah bon, Tiens, tu crois etc… comme si elle m’écoutait distraitement, engagée qu’elle est dans une autre conversation (avec elle-même peut-être, entre barreaux). Et je vais devoir m’interrompre pour me rendre à cette invitation……. Pour me rendre à cette invitation qui n’en était pas vraiment une, d’ailleurs, juste une info envoyée par sms et rédigée négligemment (mais j’ai compris par la suite que c’est plutôt une difficulté à écrire le français) par ce B., rencontré au cours d’une soirée à la galerie P., j’avais répondu à cette invitation à cause de la solitude vertigineuse où je trouvais que je me trouvais et de laquelle je m’accusais être responsable, dans ces cas-là je pendule entre deux attitudes : accepter cette solitude comme une bénédiction, une occasion de me consacrer à mes travaux (mais en vérité j’utilise très peu de ce temps donné pour les dits travaux ; le plus clair de mon temps je le passe à fumer), Ou alors, décision de « voir des gens », n’importe qui pourvu que ça soit des gens, d’où cette expédition d’hier dans le 7° arrondissement, quartier pompeux dominé par les Invalides, rues vides bordées de petites boutiques et restaurants chics et moi, sortie du métro à la station Varennes, marché dans les rues désertes, il était autour de 20 h, j’avais aperçu une petite foule au loin sous une enseigne ovale, tout le monde fumant un verre à la main. Je vais pour pénétrer à l’intérieur mais je suis repoussée par le dos d’une femme en train de transporter une table, je fais par la suite deux autres tentatives pour entrer, à chaque fois repoussée par le dos de quelqu’un qui sort une table, finalement me voilà dans le café-restaurant bondé, empli d’une odeur tonitruante de ragoût de mouton, des gens assis à des guéridons couverts d’assiettes sales, d’autres qui s’affairent à transporter des consommations en se frayant difficilement un chemin dans la foule massée autour du bar, pendant qu’un petit homme à tête de fouine commence un discours sur son père qui a créé ce lieu où nous sommes, lutté toute sa vie avec courage pour la cause de la poésie – la poésie – qui aident les gens à s’aimer – la poésie lusophone, ce soir – des artistes brésiliens de grand talent, mais où sont-ils ? Ah oui, dans leur loge, avec un geste vers le plafond comme si les étages supérieurs abritait tout un theâtre avec ses loges, ses réserves de costumes, ses ateliers, le bureau du directeur (lui évidemment, fils du fondateur), je m’étais avancé un peu pour saisir ce qu’il disait dans le brouhaha (ça faisait partie du projet en venant, noter et décrire ce que j’imaginais être quelques vieilles personnes devisant à mi-voix dans une salle à dorure), le fils du fondateur m’apercevant et me jetant d’un ton acerbe Il n’y a plus de place, madame, j’ai sorti trois tables qu’est-ce-que vous voulez on ne peut pas empiler les gens jusqu’au plafond, moi regardant tour à tour son visage de fouine, sa chemise grisâtre trempée de sueur et rentrée dans son pantalon d’où ressortaient les replis de son ventre, et les visages déférents des assis, certains même passionnés, comme si il était en train de leur délivrer un message vital, et peut-être même que sa sortie grossière contre moi faisait partie d’une stratégie pour tenir son rang et assurer son prestige auprès des visages assis, en montrant qu’il ne craignait personne, que cette dame, il la virait parce que c’était son bon plaisir, parce qu’il pouvait se le permettre étant le fils du fondateur et ayant si bien continué l’oeuvre de son père, la preuve, le café est bondé, on a dû sortir trois tables, et cette bonne femme en casquette il n’y a pas de place pour elle et je ne me gêne pas pour le lui dire, à cette étrangère au club. Je suis sortie en luttant contre un type qui voulait rentrer, nos deux corps pressés l’un contre l’autre en sens contraire, aucun des deux ne voulant céder le pas à l’autre, et j’ai remarché jusqu’au métro. Tandis que ce pillage est analysé, détaillé, mis en équation par des courbes, taux, nous sommes tous en permanence mis en équations par des courbes, taux, mais pour certains c’est plus doulureux que pour d’autres, voire mortel, nombres de morts, nombres de survivants, de déplacés, d’affamés, de violées… là il faut bien reconnaître que je fais partie des privilégiés, n’ayant affaire pour me faire souffrir qu’à moi-même et c’est là le plus ahurissant. Les migrants internationaux représentent 3,4 % de la population mondiale, 64 % d’entre eux résident dans un pays développé, un pays développé par le nombre de tonnes d’objets fabriqués et jetés à la poubelle ou le nombre de tonnes d’idées, de systèmes, de raisonnement débités à la seconde, mais complètement sous-développés au niveau des échanges humains et de ce qu’on appellerait le bonheur si ça existait, le nombre de morts en Méditerranée a doublé depuis l’année dernière, peut-être que tout ce que j’écris depuis une heure est du bullshit, cependant il faut reconnaître que bullshit ou pas, j’écris. Peut-être un passage vers ce que j’imagine qu’est ce qu’est écrire : un état spécial qui ferait voir nettement, en pleine réalité, à la fois devant et à l’intérieur, ce qui se transcrit sur l’écran ou le papier, ferveur, intensité, prise de profondeur dans cette zone de moi que je sais qu’elle existe pourtant, j’y suis déjà allée, mais si d’un autre côté je prends en considération cette dimension qui… ah ça va ! 40% des réserves aurifères et de 80 à 90 % du chrome et du platine se trouve en Afrique, 49 % des migrants sont des femmes etc… etc… on trahit la vie et la mort en chiffres et on trahit aussi en écrivant avec les mots mais la différence est que quand on trahit avec les mots on le sait, alors que les chiffres sont sûrs d’eux, arrogants, les chiffres ne trompent pas c’est bien connu, seulement voilà : n’étant que chiffres, ils ne représentent rien d’autre qu’eux-même, déniant toute réalité à la masse comptabilisée.

Non alors. Là j’arrive à un point où l’inanité du texte que j’ai écrit m’apparaît clairement et que de continuer cet exercice tient du masochisme. Fortement tentée d’abandonner, de planter là. Allons. Prenons un temps. C’est peut-être important ce moment. La difficulté vient du fait que l’élan est brisé en permanence par les pensées qui me viennent en recopiant, ce qui fait que le texte perd son sens et les pensées vont dans tous les sens, c’est le bal du non-sens, le bal du non-sens voyons voir, mais peut-être que c’est par là qu’il faut danser pour arriver à cette zone dont je parlais, cette zone depuis laquelle etc… Je crois quand même que tu noircis le tableau, t’as déjà écrit des choses j’allais dire Belles, mais peut-être que justement, il ne s’agit pas d’écrire des choses belles car les choses belles sont déjà passée à la moulinette, au tourniquet des empreintes esthétiques, à la douane de l’esprit qui demande à ce qu’on l’admire pour les choses si belles qu’il produit. Voici donc peut-être le point sensible où tout bascule : si je cesse de vouloir écrire des choses Belles, qu’est-ce-que je vais bien pouvoir vouloir écrire ? Quel genre de choses je vais écrire et que ça vaille le coup ? Là c’est important ah ah attention, Bizaz. Eh bien il me semble que tu risques de te mettre à écrire au plus près possible au plus près de ce que tu vois dans le miroir noir de cette zone d’où partiraient les mots et les images à transcrire. Mais dis donc, on dirait que justement c’est ce que je suis en train de faire, là, je sens comme… un velouté, la sensation d’un velouté (volupté?) – il y a un moucheron qui vole autour de moi, j’essaye en vain de le tuer en claquant mes mains sur lui, je n’ai aucun scrupule à le tuer – donc un velouté-volupté qui semblerait m’indiquer que la phrase Il me semble que tu vas écrire au plus près possible au plus près etc… exprimerait quelque chose de juste, et qu’une quête patiente et dépourvue de toute échafaudage pourrait m’amener à cela. Nous nageons dans le conditionnel ce qui dénote à la fois un doute et une ouverture sur des possibles ignorés. Je relis les dernières phrases, c’est du charabia pourquoi pas. Ni analyse ni même dénonciation de ce que nos sociétés font de ces personnes, là je souris, il y a de quoi sourire, moi confortablement installée dans mon chez-moi douillet, je m’indigne à peu de frais du sort réservé aux migrants ou de ce que j’en sais d’après les livres, articles, témoignages, sites, que j’ai pu consulter, ce qui voudrait dire qu’ils ont tout de même leur utilité, les livres, articles, témoignages, sites, je les utilise donc pour prétendre qu’ils ne servent à rien ? mais non, mais non, du calme. Ton projet est de rendre concret l’histoire d’une personne migrante, en ayant fait au préalabre des recherches sur le sort des migrants de manière à ne pas dire n’importe quoi car si c’est une fiction, elle doit reposer sur des faits et situations réelles et les paroles de Mohamed Mbouggar Sarr invité à la Grande Librairie me renforcent dans mon idée, il disait en gros qu’un roman peut faire comprendre mieux les choses qu’un traité de philosophie, je ne sais pas s’il a raison, est-ce-que les romans de Zola ont fait avancer la compréhension et amélioré la condition des ouvriers par exemple ? il est vrai que le prix Goncourt n’a pas dû faire un roman naturaliste, il faudrait le lire pour voir ce qu’il entend par Roman. Ces personnes chassées, trimballées, Oui, il faut que je fasse une liste des livres à lire sur les migrants car c’est bien là mon projet, le sujet que je veux traiter. Il y a donc deux projets parallèles : autobiographie (moi) et Bintu (migrants) dont des passerelles de l’un à l’autre pourraient se dessiner. Ces personnes chassées, trimballées, emprisonnées au gré des exigences des stocks et des flux, exigence est en trop, au gré des stocks et des flux suffirait, ou des phobies particulières de tel ou tel législateur, le citoyen lambda goûte actuellement et de plus en plus aux phobies particulières des législateurs soucieux de son bien-être, de sa petite santé (comme si un gouvernement potentiellement capable de l’envoyer se faire descendre sur un champ de bataille pouvait être en même temps soucieux de sa santé), faisant pleuvoir injonctions, prescriptions, interdictions, punitions sur des gens possesseurs de papiers en règle et donc en principe, libres, alors on peut tenter d’imaginer ce que ces phobies particulières du législateur peuvent faire à des personnes sans papiers, sans protection de leur pays puisque, l’ayant fui elles sont considérées par ces pays comme délinquantes, passibles de la prison ou de la peine capitale, comment ces fantasmes, ignorances, peurs, dont il n’est sans doute même pas conscient, le législateur, et qui conditionne la vie – et la mort de millions de gens, 3,4 % de près de 8 milliards de personnes ça en fait quand même (calculette) de l’ordre de 280, des millions, ça fait quand même du monde, oui je sais voilà que moi aussi je parle en chiffres, ce que je critiquais plus haut, mais 280 000 000 de personnes soumises aux phobies du législateur fou qui les enserrent dans un filet serré de lois coercitives, construit des murs en barbelés, en parpaings, en sable, imagination jamais en défaut, avec des gardes-murs et leurs chiens car parmi les 280 000 000 il y en a qui se lancent à l’assaut de ces murs et les gardes doivent bien se résoudre à les abattre, même s’ils en manquent quelques uns, 280 000 000 de personnes soumises aux phobies du législateur qui renvoie les naufragés à leurs bourreaux, enferme les demandeurs d’asile comme des criminels dont le seul crime est de vouloir changer de pays, d’en chercher un plus vivable ou moins mortel, 280 000 000 de personnes soumises à des lois et des lois élaborées dans un bureau bien chauffé par un fonctionnaire bien diplomé, bien intentionné et bien rémunéré, pour que lui-même, sa famille et ses amis, profitant de la main d’oeuvre à bas prix que ce système produit, puissent jouir librement disons pleinement, des biens de ce monde et du pouvoir que donne la possession de ces biens sur ce monde, comme si ces biens leur appartenaient de plein droit, au législateur à sa famille et à ses amis, et là pardon, mais on revient direct à l’ancien régime des rois et des nobles (voyons voir le pourcentage de paysans à cet époque ah ah toi aussi tu es friande de pourcentages t’arrête pas d’aller voir… oui 80 % la paysannerie, eh bien c’est peut-être encore pire maintenant si l’on compte dans la masse exploitée ces habitants des banlieues pouvus d’un frigo complètement vide, plein droit divin (du législateur etc…) légitimant les actes les plus abjects pour que perdure le sacro-saint ordre établi par eux et pour eux, il est bien évident que pour appeller démocratie un pays sous régime capitaliste il faut quand même être gonflé, sans même s’apercevoir dans leur stupidité qu’ils sont en train de détruire ces biens dont il font si grand cas, j’écris depuis une heure et je ne m’arrêterai pas avant qu’il ne soit trois heures, je repense à B., serait-il hyper catho et sous influence du Fils, guru d’une petite secte religioso-poétique ? Serait-il sans papiers, serait-il de Macao ? Aurait-il tué quelqu’un et se serait-il enfui de Macao sous la protection du Fils, membre de la mafia liée au saint-Siège et ayant des ramifications dans le monde entier ? sans que ne les effleure un seul instant l’idée que nous puissions être, nous autres tous les humains et eux compris, une seule et même entité s’étirant à la surface de la planète, ça n’est pas si barjo que ça de penser que nous formons une seule et même entité, que nous sommes les cellules d’un grand corps dont une partie serait de l’air (il y en a bien dans notre corps humain, de l’air), une partie de l’eau (il y en a bien, de l’eau), et que chaque cellule soit pourvue d’un cerveau et de désirs et de dégoûts se contredisant les uns les autres, une bête déchirant son propre corps au besoin, au profit, le mot est lâché, c’est le profit, au détriment de nous tous qui respirons le même air, buvons la même eau depuis le début, (mais peut-être plus pour très longtemps), et c’est toujours les pauvres qui disparaissent quand il y a trop de monde sur la planète et là, je vois une contradiction de base, les riches ayant besoin des pauvres pour avoir quelqu’un à dominer, mais c’est vrai que les pauvres font beaucoup d’enfants évacuant la même merde, la même sueur, les mêmes larmes, il n’y a qu’un seul type de larmes, elles sont toutes de la même composition (voyons cela) : de l’eau, du sel, du glucose des lipides et de l’urée, tentant maladroitement les mots pour communiquer, comme ce que je suis en train de faire là, chanter, aimer même, dans certains cas, on peut le dire compte tenu des nombreux sens donnés à ce mot, mais la pitié, non. Personne peut aimer. À savoir que personne peut aimer en ayant pitié de, c’est impossible dans ce cas, personne peut aimer. J’avais développé une métaphore dans une recopie précédente, celle du ballon dégonflé pour décrire comment nous apparaît quelqu’un dont on a pitié mais j’ai coupé ce passage, à chacun de trouver sa métaphore – ou pas, si on se méfie des métaphores (et qu’on aurait peut-être pas tort)

Non. Pas récit palpitant d’une chasse dont le gibier serait le personnage principal ce qui serait tentant, un gibier étant par essence désarmé, gracieux (biche, lièvre, perdrix), et sa mise en danger fournissant un suspense bien propre à habiller un best sellers qui viendra peupler, avec ses collègues élus pour, les rayonnages-librairies, libres rires, des grandes surfaces, signe que la culture est maintenant à la portée de tous, ni success story en carton, là je pense à La Valise en Carton, feuilleton des années 80 tiré d’un livre (ou le contraire), devenu comédie musicale et ayant rapporté gros à son héroïne et surtout à ses producteurs, bâtie selon les règles : départ du héros, péripétie, happy end, mais que l’écriture soit elle-même l’être vivant qui s’étire à la surface de la page, l’écriture comme être vivant composée de cellules vivantes, lettres, syllabes, mots, syntagmes, phrases, lignes, paragraphes, pages, livre… s’imprimant sur l’écran ou tracée à la main sur une feuille de papier, et dans le même temps cette infime, à peine visible, minuscule silhouette vue d’avion en train de gravir le sentier de la falaise l’écriture étant à la fois les mots et ce qu’ils racontent, suggèrent, font naître à l’esprit de Qui lit, l’organisme vivant qu’est l’écriture produisant des organismes vivants qui ne sont pas des constructions mentales mais des images réelles, réelles en ce sens que j’y crois quand je lis un livre, j’y crois donc je participe en lisant à la création de ces personnages, situations et paysages, seul à l’assaut de sa solitude dans son rêve de fou je peux bien mettre cette phrase à la première personne, là : seule à l’assaut de ma solitude dans mon rêve de fou. Que l’écriture vive elle-même cet élan vers l’inconnu l’écriture donc comme être vivant lancé dans un voyage le long des lignes et des pages, d’un être dans sa fragilité, ses dangers, que l’écriture avance pour sauver sa peau oh oui ; maintenant savoir si ces pages que je viens d’écrire ont sauvé leur peau, eh bien ça n’est pas à moi d’en juger. Ouf.

A propos de bizaz

chanteuse de chansons - voyageuse sans itinéraire prévu.