autobiographies #10 #11 – Esther

Elle ne marche pas vite. Elle traine un peu ses chaussons sur la moquette. Elle contourne les obstacles sa main appuyée sur son parapluie noir de la main droite. Elle tire avec son bras gauche la personne à côté d’elle qui lui prête assistance. Elle porte une veste noire et dessous elle est vêtue de blanc écru. Elle a choisi pour monter les marches de la dentelle sur son chemisier, sur sa robe, sur sa veste; de la dentelle blanche très chic. Elle a autour de la tête une mousseline de soie violette. Elle porte des bagages informes qui l’encombrent. Elle entre dans le pavillon. Elle cherche à se reposer. Elle est entourée de gens qui sont aux petits soins avec elle. Elle s’assoit dans un fauteuil pour se reposer un peu. Elle défait le voile qu’elle porte sur les cheveux. Elle ne quitte pas ses bagages des yeux. Elle parle à ses interlocuteurs en inclinant le cou, donnant à son regard un air enfantin et malicieux. Elle accepte une coupe de champagne, puis une autre. Elle dépose sur ses genoux une assiette de petits fours. Elle dévisage de ses yeux bleus délavés qui veut l’entendre. Elle retient l’attention même si elle est assise en marge du cocktail donné en l’honneur du film dans lequel elle joue. Elle aimerait aller au petit coin. Elle déguste une boule unique de glace dans sa caissette en papier. Elle se remaquille. Elle nous fait oublier son âge. Elle a débuté par hasard au cinéma.

De ses sacs plastiques qu’elle ne quitte pas, on peut deviner à la fois son peu d’attachement aux choses matérielles des exilés qui ont tout quitté plusieurs fois, leur village, leur pays natal pour rejoindre la France, Paris puis échapper au pire, fuir encore dans ses sacs plastiques repoussoirs d’où suintent un dénuement réel qui contraste avec les peignes délicats en nacre qui coiffent comme des broches lumineuses ses cheveux gris qui ondulent sur sa veste noir dessus son chemisier de dentelle blanche ourlé sur une robe blanche brodée de gala qu’elle tient avec beaucoup d’attention avant de s’asseoir sur son siège de toile, sacs plastiques à ses pieds, rassurée de les garder toujours auprès d’elle-même si elle devait quitter promptement les lieux en foulant la moquette pour rejoindre les photographes, le gotha, les honneurs, pour cela il faut remettre du rouge à lèvres, au fond d’un sac de tissu blanc qu’elle tient en bandoulière elle tire le bâton à lèvres, que peut-elle bien cacher dans tous ses autres sacs plastiques à la réclame pompière d’enseignes bon marché, des sacs à la manipulation sonore aux froissements intempestifs en marge d’un cocktail, manifestation excentrique qui ne surprend pas l’entourage cinématographique, voyant dans le corps de la comédienne une étoile qui aurait échappé la plupart du temps au trou noir cosmologique, puis un événement à l’horizon aurait dépouillée l’étoile de sa lumière ne laissant plus qu’un horizon aux événements de célébrité tardive dans trois sacs plastiques toujours à ses pieds qu’elle porte au creux du coude, toute sa bonne fortune dans trois sacs plastiques, juste derrière les barrières hors de la zone des stars accréditées, les laissez-passer, patte blanche, à côté des anonymes avec leurs sacs poubelles qui déambulent sur les parcours publics s’imaginant un instant poser leurs pieds dénudés sur un bout de moquette plastique.

@ Photo de Justin Manalo

A propos de Michael Saludo

Vis, écris et travaille à Angoulême. J'anime des ateliers d'écriture en lien avec le cinéma.