autobiographies #10 | élingue

Elle a bien retenu l’appellation. Elle pourrait en avoir faim. Elle en a plutôt mal à la tête. Elle n’y regarde pas de trop près. Elle sent la peinture fraîche. Elle tente de se rassurer. Elle sait bien dire fenestron, avec la bonne prononciation, et l’écrire aussi, avec cette graphie qui ne se devine pas forcément. Elle pense aux arbres. Elle pense toujours un peu à eux. Elle attend toujours dans l’escalier, avec l’odeur de peinture et des envies qui ne savent pas forcément se dire.

Elle tourne longtemps dans la cour avant de prendre la tangente. Elle mesure la hauteur des murs qui encadrent la cour. Elle adore aller vite à vélo. Elle repère les rats. Elle s’enfuit dans l’espace dégagé du terrain de sport. Elle s’attendrit devant les petits peupliers plantés dans l’étroite bande de pelouse. Elle se rassure en se disant qu’ils deviendront grands quand même.

Elle oublie les grands murs blancs qui l’enferment. Elle n’a plus besoin de fermer les yeux, la lumière a été éteinte par la maîtresse. Elle est contente d’être venue dans cette école. Elle comprend, c’est facile, elle s’amuse à répéter la prononciation. Elle est chez elle, elle saura bien écrire le moment venu. Elle a quand même des surprises par rapport à ce qu’elle avait imaginé. Elle a aussi des difficultés avec l’appareil dentaire qui lui colle au palais. Elle tient pourtant la prononciation de blue et green, sans racler.

Elle se méfie de la barbe noire. Elle devine que la couleur de sa peau a été marquée par le soleil dans la montagne. Elle admire les lunettes qui renvoient le soleil. Elle s’est beaucoup entraînée à prononcer Atahualpa. Elle n’est pas sûre de bien l’écrire. Elle aime son sourire au moment de dire : l’autan bufa.

Elle a traversé le village. Elle en connaît le rythme et les mots à dire à chaque pause. Elle scrute le thermomètre Révillon devant l’ancienne épicerie. Elle laisse rouler le alavetz ? entre l’épicière et elle. Elle joue sur l’écho de la réponse. Elle démultiplie ce plan, plan, plan qui dit que tout va bien.

Elle n’entrera jamais là, dégoûtée par ce pâté qui se fait en permanence. Elle n’a jamais supporté le « con » qui ponctue. Elle se verrait bien parler aux ahuris depuis le fond de la rivière.

Elle captait le froissement des feuilles à certaines saisons. Elle percevait l’infini bruissement. Elle saluait le chantier pour tous les vents et la résistance de certaines matières. Elle se laissait suspendre avec le soleil parfois. Elle se laissait gagner par la folie du parfum. Elle tendait l’oreille vers l’assemblée des peuples de fleurs et d’abeilles. Elle était bien en posture d’attente active. Elle est désormais prête à célébrer l’avènement du sucre. Elle sait aussi qu’il faut accepter le grand pourrissement. Elle est prête. Elle laisse exagérer le cousin toutefois, le puant. Elle garde réserve. Elle saura toujours profiter des terres un peu plus riches.

Elle écarte les ronces. Elle a dans la bouche l’indication de la Biscomte. Elle a rêvé à Eylie à partir des rencontres de pierre rouge. Elle cailloute volontiers entre le Mas Masòt d’en haut et le Mas Masòt d’en bas. Elle se repose à l’Arbre rond. Elle se force à y passer un bout de nuit. Elle rumine à Paul-Féval, pardi ! Elle écrit. Elle rappelle. Elle réorganise le convoi. Elle hésite à accrocher Les Calvets ou Lou casse. Elle aimerait pouvoir se laisser guider par certains parfums. Elle tient bien fort la corde des feux de brousse. Elle savoure de s’arrêter un moment à Barnabé-plage, même si l’été est déjà fini là-bas. Elle renonce à la maison d’En chic. Elle se tient à distance du Mas de Jaillac. Elle guette le quartier Pont de Tambacounda. Elle se souvient du papillon qui l’a jadis conduite au musée Bourdelles. Elle se plante sur Espilako.

Elle revient régulièrement à l’Arbre rond. Elle y installe son duvet des nuits entières. Elle y entraîne son coup de glotte. Elle ne s’effraie pas des grognements. Elle est attentive aux jeux des fines pattes. Elle s’émerveille du grand ballet des nuages. Elle se sent une étrangère heureuse.

Elle accepte de revenir à son tour au vestibule. Elle passe de porte en porte. Elle repasse par chaque porte. Elle rêve entre chaque. Elle laisse résonner les paroles qui allaient avec. Elle ré-entend les formules de fermeture de porte. Elle redit les formules d’ouverture de porte. Elle prend un grand bol d’air après.

Elle se couche sur les plaques froides. Elle aimerait avoir pu être sésame. Elle a vite rebondi avec l’anglais. Elle se dit qu’elle ne fera qu’un nouveau passage dans le vestibule. Elle pourrait quand même faire toute une énumération. Elle y mettrait en ponctuation les exclamations du grand-père. Elle se dit qu’elle pourrait entrer même dans la case des hommes célibataires. Elle se dit que la soninke et la wolof s’y invitent parfois bien ! Elle se fait quand même discrète. Elle laisse les yeux au plafond.

Elle y entre par trois doigts. Elle se voit semer. Elle prend le temps de détailler les couleurs. Elle se voit dévisser infiniment. Elle est prête à engager l’ensemble de ses bras. Elle a déjà le tournis remuant. Elle se risque à dire qu’elle a lu au moins un livre de Mbougar. Elle se dit qu’elle est peut-être snob. Elle a quand même de l’alliage vrai. Elle se laisse regarder par le phénix. Elle en devient toute rouge, comme lui.