autobiographies #12 | elle rentrait à présent

elle rentrait à présent aurait-on dit dans la petite pièce principale de l’appartement à côté de la mer et des marchands d’oranges, des aiguiseurs de couteaux, gli arrotini, assis par terre ou debout près de leurs établis ambulants tels que son grand-père en Sicile les lui avait toujours décrits ;

elle voyait le vide presque happant de l’appartement, se revoyait petite, aurait voulu disparaître ;

elle rentrait, donc ;

des perceptions floues lui faisaient parcourir la pièce comme si sa vue eût évolué dans une opacité dans un brouillard de réalité mémoire résurrection du passé ;

de fines pellicules de poussières et de gras couvraient les meubles et les murs aussi rentraient dans de si petits interstices ; sur les étagères des images de la Vierge et des flacons en plastique transparents au bouchon bleu à son effigie remplis d’eau bénite ; des crucifix et des chapelets ; une boite à bijoux dont elle avait clairement en tête les pendants vestimentaires ; elle pouvait y trouver des colliers, des broches ou des bagues, tous si familiers ; le cendrier vertical reposant par terre et maculé en surface de fines cendres noires coagulées et parfumées ; une lampe à pétrole couleur ambre dont la mèche blanche à l’intérieur ressemblait à une langue  tirée ; un tapis ancien ; toutes sortes de bibelots derrière les portes d’une armoire aux vitres transparentes ; de la vaisselle qui portait pour certaines de ses composantes et invisiblement, des prénoms, même un endroit défini sur la table de la pièce leur était rattaché; un long tube de carton autour duquel était enroulée une nappe cirée (qui s’était déroulée sur la table -elle se souvenait- comme une énorme pâte prête à enfourner) ; un poste de télévision ; un tourne-disque et quelques 45 tours dont un d’Adriano Celentano ; dans un tiroir : un cahier de poésies avec des dessins de chats, de maisons et de visages, oui, de visages ; un carnet d’adresses ; des blocs de papier à petits carreaux ; une paire de gros ciseaux ; des jeux de cartes et des dés ; sur le buffet une grosse horloge sous cloche ; des mouchoirs en tissu bien pliés ; des boites de pastilles à la réglisse ; une tabatière ; des pipes avec leurs accessoires ;

des bouts de tapisserie s’écornaient aux angles des murs et laissaient voir d’anciennes strates de papier peint, autres, comme ces mosquées construites chez elle à Saydnaya sur des monastères dont la vie la mémoire dans les histoires les voix se façonnaient aussi sur ces ruines, des récits collectifs qui en décelaient – presque sous forme d’enquête parfois- et en gardaient les traces, en formaient le territoire au même titre que la steppe, le fleuve, la plaine ou le désert ; le désert ;

ensuite au mur seulement ce qui ressemblait à une peinture à l’huile représentant la nativité si présente dans les histoires – en Syrie, il aurait fallu attendre le XVIIe siècle pour  voir apparaître de tels tableaux- ; des icônes ; prêtes à rejouer avec les statuettes de cuivre pur -qu’elle voyait là-bas dans un brouillard par terre- les célèbres batailles des naumachies dans les amphithéâtres italiens ; les statuettes de chevaliers qu’elle prenait pour des guerriers mais qui pouvaient aussi bien être des messagers droits sur leurs chariots ; dans la poussière et renversées maintenant ; comme les crucifix construits avec du matériel de récupération dont des éclats de bombes ; les images de la vierge ; les assiettes en morceaux ; les pièces aux murs défaits à la forme chaotique trapézoïdale ; les tapis tissés à la main dans un coin ; les icônes byzantines ; les perles de coraline aux formes trapézoïdales sur les poitrines dans les tombeaux ; les perles des princesses musulmanes dans les souterrains d’Espagne affichant leur lignée ; les auberges où vivent ces princesses qui sont ces souterrains, des dédales ; les monastères qui sont aussi des labyrinthes aux mille passages et terrasses ; les grottes silencieuses qui sont des lieux de culte dans le désert, les demeures des sibylles, des lieux d’anciennes écritures ; la vaisselle atomisée comme dans un mobile interprété par  Alexander Calder et sa femme Louise ou plus tard John et Xenia Cage à la recherche après la guerre de nouveaux liens à l’espace et au temps 

sur la scène d’un petit théâtre portable, le mobile composé d’objets trouvés-là de fines surfaces bouge semblable à des chœurs- fugues ou contrepoints- organise une architecture spatiale et du temps à travers sa recherche d’un son d’un assemblement d’alliances aléatoires temporaires arbitraires aussi non improvisées  parfois un rendu savant pensé chorégraphique et pendu à un fil à la fois dents de lait et maisons et vies et écritures produisant des reflets changeant selon les angles et la lumière  aussi bien l’intervention de mains parties du corps couleurs ou d’instruments allant solliciter sa présence ou s’ habiller de lui, lui,  pouvant aussi se profiler tel une sculpture abstraite ou figurative et renouvelée sans fin sans esprit de finitude ni de frontière une espèce de ciel s’acheminant vers des territoires au centre desquels  dégager de la vie dépassant une structure enceinte limitée enfin accoucheuse aussi relier des points épars des éclatements – comme suite à des traumatismes- par des fils des nœuds faisant néanmoins vivre de leur propre vie on dirait posées-là sur une table ou plutôt en l’air façon bouteilles assiettes ou oiseaux  les figures les narrations et les voix

A propos de sandrine cuzzucoli

Aime le temps suspendu en contemplant, lisant, dessinant, parlant, regardant le plafond, les visages, peintures, ciels.. Dans mes études passées mais encore présentes!: la littérature américaine, italienne, les beaux-arts, la traduction et d'autres choses depuis... Ecris en revue depuis environ 5 ans, dessine depuis plus, c'est un aller-retour constant un peu comme un Appel de la Forêt, le titre d' un des premiers livres de Jack London- que j'ai aimé!