autobiographies #13 | voix évaporées

Elle, cette voix rieuse que j’espérais au début de chaque été. Descendre l’allée de gravillons, frôler les roses trémières inclinées vers la lumière, poussez le portail et entendre bonjour ma chérie ! Ah ! Tu es là !, les yeux plissés de sourire. Elle s’inquiétait du déjeuner lorsque la cloche de l’église sonnait midi, juste avant la rembal’ du marché. Une ou deux belles tomates cueillies au potager, me suggérant, regarde s’il n’y a pas quelques fraises bien rouges pour le dessert. Des palourdes en entrée, pêchées la veille, la main enfoncée dans la vase, partie à l’inconnu d’invisibles signes qu’elle seule déchiffre, tu vois ces trous, cette légère mousse, c’est là qu’il faut fouiller. Sur le porte bagage, la pêche est sanglée, les cheveux blancs caressant le vent. Les années répètent le plaisir des chemins parcourus, s’extasiant encore devant le miroitement des pyramides de sel, le flamand rose épiant sa trajectoire, tandis qu’elle pédale en cadence, bien droite. Croisant un voisin, elle met pied à terre : Comment va votre mère ? elle réconforte, s’exclame brusquement, Vous viendrez ramasser des prunes ? Il donne tant cette année ! on prendra le café !

Elle, cette voix fatiguée, qu’il arrache à une toux chronique, un essoufflement du corps. Il n’est pas sorti à cause du temps orageux, de la petite pluie qui transperce jusqu’à la chair. Pour dormir il prend des pilules, se plaint d’un réveil trop matinal, avoue qu’avant il ne dormait pas la nuit. Mais il bougonne : ça me donne plus de temps pour m’ennuyer. Je ne pensais pas être alité si longtemps, écrit-il dans un cahier bleu petit format. Non, on ne lui a jamais appris l’oisiveté ni la paresse. Sa voix traîne à l’ombre des volets tirés, le long des allées arpentées, se reposant, le corps appuyé contre le tronc du poirier, celui du cerisier ou la margelle du pont, le temps de retrouver le souffle disparu. On lui propose un voyage de quelques jours, une sortie en ville, il suit, regrettant au retour. Le plus souvent il garde pour lui remords et déception, note dans son journal le temps qui lui échappe et la météo du jour. Il se pèse chaque semaine, perdant, regagnant du poids, mangeant pourtant avec appétit. Et il peste contre son sort, les amis qui l’oublient, les visites qui deviennent rares et la vie qui semble plus belle au-delà du large portail de la maison.

A propos de Fabienne Savarit

J'ai toujours eu envie d'écrire des histoires. Le temps me manque, alors j'écris par petits souffles, en atelier, dans des carnets, sur un coin de table. Mon premier roman a été publié en juillet 2020, j'en suis encore ébahie. Mes mots sont voyageurs et se perdent au creux des courants marins. https://www.facebook.com/Fabienne-Savarit-Autrice-105753008006663