autobiographies #05 | palimpseste

Je l’ai découvert, par hasard, un soir d’été, dans une pâture en bordure d’une route normande. Moult oripeaux de pièces de tissus multicolores, habillaient sa silhouette chenue ornées de branches griffues et décharnées. M’approchant de cet ensemble disparate, je vis au pied de cet arbre, un dépôt hétéroclite de loques, bottes, bonnets et gants. Il me vint à l’idée d’une décharge sauvage d’invendus de friperies, de solderies de greniers voire une installation d’art contemporain in situ. A proximité, un édicule abritant un saint derrière une grille, à qui on a décerné des ex voto, le remerciant pour ses miracles de guérison. J’appris que cet arbre enrubanné, un orme multiséculaire, appelé « arbre à loques » par les riverains, soignait les maladies depuis le 15ème siècle. Il aurait dit-on stoppé net une épidémie de Peste Noire. Nul n’est capable d’expliquer rationnellement cet arrêt soudain. Moi non plus je ne sais pas et je ne peux que me perdre en conjectures. Beaucoup y ont vu un signe divin même encore aujourd’hui. On me dit que pour guérir, il suffit d’accrocher aux branches un objet ou un vêtement ayant appartenu ou touché par le malade. Et ça marcherait encore aujourd’hui (…)

Je l’ai découvert, par hasard, un soir d’été. Enfin pas exactement. Je l’avais déjà remarqué à plusieurs reprises en rentrant le dimanche soir à Paris, sans vraiment y prêter une grande attention. D’ailleurs il est difficile d’admirer le panorama tout en conduisant. Cet arbre était dans une pâture en bordure d’une route en côte, une départementale très fréquentée, une ex route nationale déclassée, bombée et déformée par des milliers d’essieux. Pas évident de s’arrêter sur le bas-côté sans risquer de basculer dans un fossé mal stabilisé. Je l’ai quand même fait un jour, en me garant assez loin loin en lieu sûr, et en prenant les précautions utiles pour ne pas me faire renverser par des automobilistes pressés de rentrer chez eux. Pourquoi me suis-je arrêté précisément ce soir là? Je ne le saurai jamais. Bref j’ai pu enfin regarder cet arbre étrange derrière des barbelés. Je vais devoir les franchir pour l’approcher. Je n’ai vu aucun panneau d’interdiction d’entrée mais leur seule présence indiquait clairement que cet arbre était dans une propriété privée. Aucun autre accès visible depuis la route. Comment expliquer la présence de ces oripeaux bariolés sur les branches de cet arbre? Quelqu’un avait-il étendu du linge à la suite d’une chute ou d’un lavage dans un ruisseau par exemple? Il ne devrait pas tarder à revenir pour le dépendre. Il me suffira d’attendre un peu et le mystère s’éclaircira. Oui mais dans combien de temps? Il est peut-être venu. Je me sentais un peu ridicule devant cet assemblage. Après tout, j’avais déjà vu du linge étendu sur un fil entre deux branches d’arbre. Mais il y en avait beaucoup sur cet arbre. Et il y en avait même au pied. Piqué par la curiosité, je regardais autour de moi. Personne. J’ai franchi les barbelés puis je me suis approché de cet ensemble disparate. Je découvris un dépôt hétéroclite de loques, bottes, bonnets et gants lovés autour du tronc. Il me vint à l’idée d’une décharge sauvage d’invendus de friperies…drôle d’idée…à moins que ce ne fût une installation d’art contemporain, un détournement de vêtements ou un paysage-vêtements, fragments de territoires à tisser ou à nouer, exposés à tous les vents et au quatre saisons. Mais destiné à qui? (…)

Je l’ai découvert, par hasard, un soir en rentrant à Paris. Je crois bien que c’était une soirée d’hiver, entre chien et loup, et je ne m’étais pas arrêté car il gelait à pierre fendre. Comme j’étais parti sur ma lancée, je n’y ai pas vraiment prêté une grande attention. Vite aperçu vite oublié. D’ailleurs on ne peut admirer un paysage tout en conduisant. On s’en fiche continue ton histoire! Cet arbre était encore là les fois suivantes, trônant stoiquement dans une pâture en bordure d’une route en milieu d’une côte, indifférent au trafic incessant de cette départementale bombée et cabossée par des trains d’essieux et les intempéries saisonnières. Tu ne peux pas dire comme tout le monde que la route était défoncée par les bahuts et le manque d’entretien de la DDE? Et s’arrêter sur un bas-côté mal stabilisé voire inexistant n’a rien d’évident et pourtant je l’ai quand même fait un jour, en me garant assez loin en lieu sûr, en faisant bien attention à ne pas me faire renverser par des automobilistes pressés de rentrer chez eux. Et bla bla bla quel exploit! Pourquoi me suis-je arrêté précisément ce soir là? Je ne le saurai jamais et peut-être que ça n’intéresse personne sauf moi. Tu as toujours eu des idées bizarres! Bref j’ai pu enfin regarder cet arbre étrange derrière des barbelés. Je vais devoir les franchir pour l’approcher. Ok c’est bon tu as sauté par dessus les barbelés et personne ne t’as vu. Continue et abrège! Comment expliquer la présence de ces oripeaux bariolés sur les branches de cet arbre? Il y avait peut-être une communauté de chiffonniers d’Emmaus, il y en a partout. Quelqu’un avait-il étendu du linge après l’avoir lavé dans un ruisseau? Tu l’as vu le ruisseau? Il ne devrait pas tarder à revenir pour le dépendre. Il me suffira d’attendre un peu et le mystère s’éclaircira. Si tu as du temps à perdre!. Il est peut-être venu. Je me sentais un peu ridicule devant cet assemblage. Je ne te le fais pas dire! Après tout, j’avais déjà vu du linge étendu sur un fil entre deux branches d’arbre. J’en ai déjà vu chez les manouches! Mais il y en avait beaucoup sur cet arbre. Et il y en avait même au pied. J’y découvris un dépôt hétéroclite de loques, bottes, bonnets et gants lovés autour du tronc. Il me vint à l’idée d’une décharge sauvage d’invendus de friperies…c’est sûrement ça! C’est quelqu’un qui n’a pas voulu s’em…à trier ses ordures! A moins que ce ne fût une installation d’art contemporain, un détournement de vêtements ou un paysage-vêtements, fragments de territoires à tisser ou à nouer, exposés à tous les vents et au quatre saisons. Mouais…l’art c’est un peu du grand n’importe quoi aujourd’hui. Franchement je ne vois pas l’intérêt de mettre une oeuvre d’art dans un champ sauf si on aime les vaches! A proximité, un édicule, grand comme un abri-bus, sans la publicité, abrite un saint protégé derrière une grille. Encore un chrétien derrière les barreaux qui a pris perpète. C’est une statue dédiée à Saint-Claude. Ce nom m’évoque bizarrement une ville éponyme du Jura spécialisée dans la fabrication des pipes. Ce saint n’a rien à voir avec les tailleurs de pipe. Je sens que ça va déraper. Non ce Saint-Claude est un guérisseur au pied duquel on a déposé des ex-voto pour remercier l’arbre emmailloté au milieu du pré, d’avoir arrêté une épidémie de Peste Noire au temps de Jeanne d’Arc. Il paraît que le terrain sur lequel il se trouve appartenait à un châtelain qui a témoigné au proçès de notre Jeanne nationale. A charge ou à décharge on ne le saura jamais. De toute façon la cause de Jeanne était désespérée car la pauvre devait franchement être un peu « allumée » pour avoir confondu un haut-parleur et une voix divine. En tout cas respect à cet orme multi-séculaire faiseur de miracles. Beaucoup y ont vu un signe divin même encore encore aujourd’hui. Nul n’est capable d’expliquer rationnellement cet arrêt soudain. Méthode Coué ou virus fatigué par une trop longue contagion, on ne peut que se perdre en conjectures. On prétend que pour guérir, il suffit d’accrocher aux branches un objet ou un vêtement ayant appartenu ou touché par le malade. Tous ces effets vestimentaires sont donc des parcelles de vie douloureuse aspirant à un mieux-vivre. Un toucher et des prières en guise d’élixir. Et ça marcherait encore aujourd’hui. Si c’est ça, Big Pharma ne va pas être content (…)

A propos de Laurent D.

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