autobiographies #07 | portes

La porte en fer forgé du jardin potager, peinte en blanc, rouillée par endroit, recouverte de mousse, la peinture blanche qui s’écaille. On a fini par renoncer à la repeindre. Avant, on le faisait. Quand on l’ouvre, elle fait un bruit, le même depuis toujours, on n’a jamais cherché à la graisser pour éviter ce bruit. C’était un beau son, le son de cette porte. Ne pas parvenir à le décrire me fait redouter de l’oublier.

Porte de la cabine à chiottes, on ne saurait pas l’appeler autrement, construite dans la chaufferie, autour des toilettes posées au milieu de cette pièce d’une vingtaine de mètres carrés. Quand on saisit la poignée pour ouvrir la porte, on s’étonne de la légèreté de cette porte qui nous arrive très vite dessus.

Porte de la cuisine : un mécanisme ancien pour la poignée, avec un loquet, que les mains d’enfants ne maitrisent pas avant la dizaine d’années. On les entend tourner la poignée sans succès, dans tous les sens, et ils finissent par abandonner et par attendre, derrière la porte, dans le froid de l’entrée qui n’est pas chauffée, que quelqu’un vienne enfin leur ouvrir. Quand ils parviennent à l’ouvrir seuls, ils la referment alors rarement derrière eux. On leur crie « LA PORTE » et ils reviennent sur leurs pas, en soufflant, pour la fermer.

Les énormes portes de placard derrière lesquelles sont rangés les bocaux de fruits et les confitures, sur les étagères en bois. Écriture du père sur les étiquettes « sureau », « groseilles à maquerau », « figues » et la date. En haut, des toiles d’araignée, des cartons remplis de photos en vrac. Toujours la même résistance quand on essaie d’ouvrir le pan de gauche du placard. Il faut mettre sa main à un endroit précis et exercer une petite pression, et de l’autre on tire vers soi. On doit apprendre les gestes nécessaires à l’ouverture de chacune de ces portes de cette maison. Est ce que la mémoire de ces mouvements, de ces bruits, de ces grincements se perdra elle-aussi ?

La porte entre la salle à manger et le salon, porte en bois, du même bois que les boiseries de cette pièce. Elle ne peut pas être repoussée, elle ne peut être qu’en position ouverte, elle s’ouvre peu à peu dans un long couinement saccadé. On la laisse faire. On se laisse dominer par cette maison. C’est elle qui décide, pas ses habitants. « Laisse cette porte », dit on aux enfants qui s’échinent à vouloir la fermer. On ne peut pas la repousser mais on ne peut pas la fermer non plus. On croit avoir réussi à la fermer mais elle s’ouvre aussitôt. On n’a jamais essayé de régler le « problème » en quarante ans.

Quelqu’un, un jour, changera toutes les portes, en trouvera des neuves, sans défaut. Tout glissera, il n’y aura plus aucune résistance. Elles n’auront plus rien de spécial, ce sera fonctionnel. Ça marchera, ça fonctionnera.

2 commentaires à propos de “autobiographies #07 | portes”

  1. Le fil de résistance entre toutes les portes permet de nous faufiler en voyeurs dans cette maison et d’y surprendre ses habitants. C’est drôlement bien réussi !