autobiographies #09 | balade dans l’espace et le temps

Balade dans l’espace et le temps

Balade dans l’espace et le temps. Chris s’étonne d’atterrir là. Une salle à manger désuète, papier peint fané, une lamelle de papier d’Arménie se consume lentement, odeur de vanille et de benjoin, une chaise haute d’enfant, sur l’abattant la girafe Sophie. Un saut dans l’espace et le temps. Une autre salle à manger, claire, lumineuse, volets ouverts sur la campagne ; sur la table, la fillette a disposé des œufs de Pâques, sa cueillette du matin dans le jardin. Chris traverse le jardin et s’engouffre dans un ascenseur. Troisième étage : une chambre minuscule, une gamine devant un bureau, mâchonnant le bout de son crayon ; une femme crie : « Viens me montrer tes devoirs. » Chris franchit l’espace et pénètre dans un hall. Carrelé noir et blanc, odeur de cire, d’encaustique, de javel, grande ouverte la porte vers un salon, entre les deux fenêtres un tableau d’honneur, les noms des élèves studieuses sur des étiquettes dorées, deux parents admirent le nom de leur fille chérie, la première de la liste, ils sont au bord des larmes, de joie. Une salle de classe, odeur de craie et d’encre violette, sur les pupitres, la méthode Boscher est ouverte à la page 47 : le boulanger fait le pain in = ain = ein. Dans l’arrière boutique d’une bijouterie, le même livre ouvert page 59, histoire de la petite poule rouge, et l’odeur des crêpes que prépare grand-mère. Un saut dans l’espace et le temps. Un salon solennel, sinistre, des housses sur les fauteuils, un homme corpulent ronfle sur le canapé, près de lui une tasse de café, froid. En face une cuisine carrelée de jaune, la petite bonne épluche des pommes, elle chantonne :Ta mère t’a donné comme prénom Salade de fruits, ah ! Quel joli nom. Plus loin, Chris se retrouve dans un appartement minuscule, sous les toits, des pigeons qui roucoulent, un lit défait, des vêtements éparpillés, deux amoureux qui roucoulent. Elle se sauve ; devant elle, s’ouvre un long passage bordé de boutiques. Elle y pénètre sans être remarquée par quiconque. Elle s’étonne, elle serait un fantôme en balade dans l’espace et le temps. Import-export, négoce en gros, Tissus, un brouhaha de voix, des machines à écrire cliquettent. Au Camélia, mercerie, bonneterie, des rubans, des boutons, des dentelles et la mercière qui y va de son boniment vantant la qualité des bas de soie diaphanes. La grande Boucherie, les chambres froides, des quartiers de bœufs suspendus à des crocs d’acier, des hommes armés de couteaux, inquiétants, du sang. En face, la clinique des poupées, en vitrines exposées, amputées d’une jambe, d’un bras, énuclées, chauves, en celluloïd toutes, misérables. Fuir dans l’espace et le temps. d’un saut, vers le balcon d’un appartement dominant Marseille rose et blanche, au loin le Vieux-Port, le cri des mouettes. Dans le salon, le chien aboie. Elle vole vers la calanque de Malmousque. Sur la place, une maison ocre, odeurs d’iode, de poissons grillés, parfum des pittosporum, masse bleue des plumbago, hurlements d’un homme, le père excédé sans doute : « Tiens-toi droite, finis ta soupe. ». Une chambre d’ado en désordre, un hurlement : « Range ta chambre ». Le temps, l’espace, chez Fonfon, vue sur la calanque, le pont, les tables serrées, des filets de pêche comme décoration, la bouillabaisse qui fume dans les assiettes, des rires, les cabines de plage des Catalans et les maillots qui grattent de trop de sable, le bistrot du port et les copains autour du juke-box, enfin la Canebière où flâner.

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