B., B. et B.

Bé :

Son visage est lisse, poli, satiné. Du marbre blanc, proportionnellement et divinement antique. Tout son visage est de pierre, jusqu’à ses cheveux, arabesques immuables, éternelles.

En son for intérieur, une plante d’appartement déposée sous les arbres. Elle manque d’eau et s’assèche, survivant avec peine de rosée en rosée. Ses racines la retiennent, encore mieux que des chaînes, quand un oiseau viendra se nourrir de sa vie, elle tombera en poussière, vidée de l’intérieur. 

Les grands arbres de l’allée sont toujours grands, plus grands peut-être. Mais elle ne se souvient pas précisément. Les graviers du porche sont recouverts de mauvaises herbes, la mousse s’est installée sur les escaliers, par plaques, même au milieu, où habituellement on poserait les pieds pour arriver à la grande porte de chêne sculptée. Elle grince. Partout de la poussière, des toiles d’araignées, du bancal, du tombé, du pourri, du moisi. Une odeur qui vous étouffe de ses mains sales, humides et froides. Et même de la mousse, de la mousse verte sur cette marine de soleil couchant qu’on a toujours précieusement gardée dans la famille, une copie, certes, mais une copie de Turner.

« Oh mon dieu ! des décennies d’élégance, de délicatesse et de raffinement, des milliers d’heures de soins attentifs anéantis en quelques maigres années d’abandon. Et la nature ! ces mousses vertes qui nous assaillent, qui nous envahissent, qui s’installent comme chez elles sur des sommets de culture et de civilisation ! La nature, quelle sauvagerie, quelle horreur ! »

Blaise :

Sourire en sifflet, en angle, en triangle. Un côté fin et un autre plus épais, plus lourd d’ironie. Il a un sourire en coin, comme ceux qu’on utilise pour fendre les buches.

En son for intérieur, un funambule qui s’avance sur un fil tendu entre deux falaises au-dessus de l’océan. Son balancier est un arbre, racines d’un côté et feuilles de l’autre. À chacun de ses pas, les racines ne bougent pas mais les branches s’allongent, de nouveaux oiseaux de mer intégralement blancs viennent s’y poser, le déséquilibrent. Il penche, son corps s’incline, il va tomber, sans un geste pour se rattraper, disparaitre dans les vagues, se noyer. Se faire dévorer par le flot, et par ces crabes verts qui ont une pince plus grosse que l’autre. 

L’énorme cuve de bois est posée sur le sol du rez-de-chaussée, on la remplit depuis la passerelle construite trois mètres plus haut. Brasserie ou distillerie, tout naîtra dans ces cuves. Eau, orge maltée, levures. Ensuite ça fermente, ça se transforme, ça fait des bulles, ça pue. 

« Pour la chimie rien de plus simple, les levures transforment le sucre en alcool et en gaz carbonique. Ensuite on distille, séparation de l’eau et de l’alcool par la chaleur. Ça se passe dans ces grands alambics en cuivre. Cu. Rien de compliqué. Si un jour on me distille, il ne restera rien. Que de l’eau, H2O,  insipide, sans ions, sans goût et sans aucun intérêt. Il n’y a plus rien d’intéressant en moi, à peine quelques molécules toxiques qu’on éliminera avec la tête et la queue de la distillation. Plus de cœur, plus d’âme. Même si je ne suis pas à l’aise avec ces mots-là, aujourd’hui, je ne trouverai rien de mieux. Je n’ai plus aucun intérêt. Même pas pour moi. »

Ben :

Visage tambour. La peau est tendue sur un cadre rond, mais pas rebondi. La structure du squelette donne la forme, le reste est vide. Il vibre et résonne quand on le frappe, même quand on l’effleure. 

En son for intérieur, une pomme. Un fruit resté sur l’arbre depuis l’automne précédant. Amaigri, momifié, gelé, l’intérieur disparu, pas altéré, épargné par les vers et les champignons, il s’est simplement desséché. Dans l’oubli et l’indifférence. Seul.

Devant la mer bleue, se trouve une autre mer, une mer verte et marron d’algues toujours plus calme que la bleue, plus solide et plus lourde. Opaque, solide, ni liquide, ni translucide. Elle nous rappelle que là, si ce n’est pas la mer, ce n’est pas non plus la terre, c’est un monde à part, un monde en lui-même. L’estran est un lieu de temps.

« La mer monte, elle descend. L’estran est couvert, découvert. Mon père frappe, puis souris. La vie de la mer sur la plage c’est la vie de ma mère. »

A propos de Juliette Derimay

Juliette Derimay, lit avidement et écrit timidement, tout au bout d’un petit chemin dans la montagne en Savoie. Travaille dans un labo photo de tirages d’art. Construit doucement des liens entre les images des autres et ses propres textes. Entre autres. À retrouver sur son site les enlivreurs.