autobiographies #01 | bout de ligne

Au sortir du métro- bout de ligne- ne pas prendre la rue encombrée d’autobus mais les escaliers qui desservent la passerelle. La passerelle s’élance au-dessus d’un ramassis de maisons délabrées noircies de pollution urbaine et c’est plonger dans le ciel, s’engouffrer dans le vent et la pluie souvent. Les tours jumelles, modestes répliques des twin-towers semblent se pencher pour regarder les passants passer et exposer dans le ciel deux gigantesques tableaux de verre où défilent les nuages, tout en se mirant l’une dans l’autre. Au pied des tours qui ménagent passage vers le centre-ville, on traverse la rue avec son terre-plein central vaguement herbeux, ruelles noires encore, la petite boulangerie et la place du marché où se tient en majesté la mairie rouge et blanche de style Louis XIII. A l’autre bout de la place, au 4, la boutique des pompes funèbres dans l’immeuble où se trouve le 2eme gauche.

La rue commerçante est pentue et les commerces pas si nombreux, d’abord le tabac PMU, puis la pharmacie, la droguerie (une première cocotte en fonte), le magasin Kodak et tout en bas la teinturerie où déposer de gros sacs de linge à laver. Coupons la rue la plus passante face à la chevaline à la devanture en mosaïque sang et laissons les façades sombres et les commerces définitivement fermés pour emprunter la ruelle perpendiculaire qui longe un terrain herbeux et grimpe au sommet d’une butte chapeautée par un semblant de petit village constitué de baraques améliorées de bric et de broc, bricolées au fil du temps à coups de parpaings nus, de rectangles de tôles et de poutrelles récupérées. Le traverser fait aboyer de nombreux chiens qui se jettent violemment contre des grilles bien fermées fabriquées avec des éléments récupérés. Chaque baraque a son nom de rêve, chacune respire la lésine, l’effort et l’aspiration à un Sam ’suffit merveilleux dont les jardinets accueillent des faons attendrissants et de grands cygnes placides. 

Escaliers en bois, murs peints en faux marbre aussi lisse que du vrai. Deuxième étage porte gauche. Sous les pieds, parquet de chêne ciré qui s’étend jusque dans l’appartement, même les WC (première porte gauche), puis cuisine (deuxième porte gauche), un simple lavabo pour se laver en plus de l’évier en céramique jaunie, une petite gazinière posée sur un meuble métallique, deux étagères au mur, une table, c’est un meublé. Au bout du couloir, deux pièces, l’une à gauche, l’autre à droite, à chacun sa chambre-bureau-salon inondée de soleil, l’une le matin, l’autre l’après-midi, l’une donnant sur la place, l’autre sur la baraque-loge de la concierge et un potager, l’une avec cheminée en carrare, l’autre en marbre rouge, les deux dotées d’un buffet de style où sont engouffrés tant bien que mal les vêtements. La cloison de l’une recouverte de dalles de polystyrène donne sur l’appartement du propriétaire de l’immeuble, ébéniste à la retraite, bien aimable, beau vieillard mais la cloison est si fine que chaque soir on l’entend ressasser les rancunes de toute une vie. 

A propos de Catherine Plée

Je sais pas qui suis-je ? Quelqu'un quelque part, je crois, qui veut écrire depuis bien longtemps, écrit régulièrement depuis dix ans, beaucoup plus sérieusement depuis trois ans avec la découverte de Tierslivre et est bien contente de retrouver la bande des dingues du clavier...