#P6 Carnet Tchèque (extraits)

22/07

Retour d’une petite semaine à la maison. Essai de ma nouvelle lampe en prévision de mon prochain déménagement. De la céramique colorée à la flamme par une adorable potière de Tréguier. Très fier.

Le mécanisme du vélux sous lequel j’écris s’est brisé il y a quelques semaines et je n’ai pas encore décidé d’investir le temps nécessaire à la substituer par le nouveau modèle pourtant prêt depuis longtemps. Il est vrai qu’entrebâillé, le volet de tissu qui n’accroche plus aux rails brisés prend des allures de voile de navire. J’aime cette impression de voguer sous les combles … Certes, lorsqu’il était fonctionnel, le soleil entrant en fin d’après-midi et les lampadaire la nuit projetaient sur le mur une abstraction géométrique tout à fait splendide faite de losanges superposant aux trapèzes leurs nuances d’ombres et de flamme : sous ce mur blanc, sur ce parquet, combien d’après-midi ne me suis-je pas senti privilégié de vivre sous vos tableaux ?

Le mois prochain, j’emménage une année complète dans une nouvelle chambre pour la première fois depuis vingt ans. Adieu rêveries ensoleillées, psychopathes et chenils … Inquiétude de dernière minute. Ai-je profité comme il se doit de mes anciens lieux ? Parviendrai-je à distiller les ambiances nouvelles comme je le voudrai ? Certes, ce sera une autre soupente, entourée de murs blanc avec du parquet légèrement plus ancien et une belle poutre apparente comme dans la première maison de mon enfance. Changeons en douceur. Mais d’abord, reprenons des vacances.

23/07

On fête mon départ. Fous rires au restaurant. Anecdote du mariage d’une cousine, l’ambiance est bonne. Chaque fois que nous nous taisons, nous surprenons la conversion de nos voisins d’en face qui ne démordent pas de leur unique sujet de la soirée : la pétanque. Certains pourraient se fatiguer d’un même sujet. Eux, non. Ils n’en finissent pas de décliner toutes les dimensions imaginables du sport sans aucune interruption. Et le mental d’un bon joueur ? Et l’entrainement physique ? Et la résistance à la pression ?  Et puis le René qui est si extraordinaire … Il connait même des joueurs nationaux ! – Mais il n’a jamais rien gagné, ton René ! – Je sais, mais il m’épate !

24/07

Je pars en voyage !

Pars épars

pars rempart, pars …

et reviens loin.

Le départ pars lui aussi,

à la fin du voyage.

L’on à jamais fini de partir.

Héraclite, reviens, on fait des crêpes !

Dans ta cuisine pleine de Dieux.

Tu pourrais faire un effort, il ne manque plus que toi.

Quand même !

Dis donc !

Ta tension faite de lyre.

Ta lyre faite de tension.

Moi j’ai mon Ukulele. Ça compte ? 

(Je l’ai bien accordé).

Et sur le bout des lèvres.

Le monde en chansons.

*

Cela se répand par les doigts. Le tactile, le futile, le gracile. Les cordes, la volupté du clavier … (bépo, sinon pas aussi confortable. Bizarrement confortable aussi l’azerty me souviens-je. Fou comme l’on s’adapte à l’impossible. Mais le bépo, pas photo. Les dix doigts en liberté, l’esprit reposé).

*

Homo tapotus. Especus rigolus. Présomptus ? No se.

*

Ne pas oublier la mission Dan : convenir d’un discours philosophique d’anniversaire de cinq minutes en anglais sur Héraclite et la voltava (prononcer voltava car pourquoi écrire les voyelles quand l’on peut économiser du papier ? Certes, les égyptiens s’en passait bien ainsi que la plupart des langues d’alors. Mais a-t-on interrogé les touristes des égyptiens qui cherchaient à prononcer leurs noms étranges ?).

*

Passer une vie sous les regards charmeurs que ne contraignent ni la haine ni les regrets. Une vie au bistrot de l’aéroport. Pas écolo. Il nous faut des avions à voile. Que font nos ingénieurs ? (Et ceux des autres). Ah, les bistrots des bars dirigeables … Et les bistrots des dirigeables … Bistrots flottant au grès du vent … Sans Hidenburg, quelle autre époque n’aurions-nous pas connu ! Celui qui a remplacé l’hélium par l’hydrogène … Assassin de la poésie et des poètes ! J’espère que ce monde alternatif existe quelque part. Heureux pour eux.

25/06

Si tu n’as pas de pain, bois de la bière (dicton Tchèque).

*

Un verre d’eau de vie tous les matins, et tu vivras mille lendemains (dicton morave).

26/07

Réveil naturel en pleine forme à 7h30. Impression de ressusciter. Très heureux de ne pas constater de séquelle de la boisson …

*          

Du fabuleux festival international de ukulele je me souviendrai particulièrement les fins de soirées à chanter dans une langue que je ne comprends pas au son des uku, banjos et autres kazoo … Cela se passe dans la petite brasserie d’Unetice dont la bière a remporté un concours national. Unetice est un village de cinq cents habitants … à l’origine de l’une des premières civilisations d’Europe, du même nom. Alan Moore à raison, chaque partie de cette terre sphérique est bien le centre du monde.

Une habituée tchèque d’un certain âge avec qui je venais de sympathiser me confirme que la taille modeste du festival permet des moments de rencontre privilégiés avec les artistes. – Et bien à l’année prochaine, je lui réponds sur le départ, conquis par le charme de l’endroit et de ses visiteurs – Vous savez, on dit chez-nous, l’année prochaine, à Jérusalem … Aïe. Humour tchèque ?  Je reviendrai quand-même …

*

Un jour, Dieu s’étant réveillé plus tôt que d’habitude, se demanda pourquoi il n’avait pas créé le monde de manière plus douce. Le trac du débutant, l’angoisse de bien faire, l’avait tendu quelque peu et orienté sa main vers des extrêmes qu’il regretta soudain. Pris de remords, il se dit que le péché originel, la culpabilité de naissance, la souffrance, n’était pas une mauvaise idée de rédemption à l’usage de l’homme, mais qu’enfin, de temps en temps, l’on pouvait souhaiter une manière plus raisonnable d’occuper le fil de ses jours. Il se constitua alors les gens les plus charmants, sympathiques, discrets, enjoués, solidaires et vifs et les rassembla à Unitece en république Tchèque. Pour ne pas vendre la mèche, il limita l’ensemble à la superficie d’un modeste village. Cependant il les dota, pour leur amusement ainsi que pour répandre modestement la bonne nouvelle à travers le monde entier, d’un festival international annuel de Ukulele …

*

L’on me dit que les jalousies de voisinage sont une spécialité locale.

27/07

Le sourire épatant d’un enfant fabuleux, rieur, ouvert, joyeux, tapant des mains au rythme du groupe de musique qui répétait calmement à côté de nous. Il n’avait que deux ans m’a-t-on appris. Ses parents sont très fiers de lui qui parle et distingue déjà le « bonjour » (dobry den)  du « bonsoir » (dobry vecher). Très flatté de lui avoir semblé mériter son attention.

28/07

Croisé la statue de Kafka dans le Josefov de Prague. Juché sur les épaules d’un invisible géant habilement représenté par un costume vide de taille imposante, sa frêle silhouette pointe l’index en direction des visiteurs …

Le Café du Louvre, dans la vieille ville, propose une délicieuse et nourrissante « soupe épaisse » faite de petites boulettes de foie arrosées de bouillon pour quelques euros. Je la fait suivre d’un succulent café turc à la cardamome (arôme subtilement dosé, café parfaitement infusé) dans son service de cuivre ouvragé assorti d’une Sacher torte chocolat/orange/noisette à la crème chantilly.

Avec sa nourriture, ses moulures baroques, son velours, sa salle de billard et ses lumières tamisées, l’on se représente parfaitement le passage en ces lieux de Kafka, Einstein et Tchapek (RUR, les robots, mais si) tel que le vante la nappe bilingue sur laquelle je m’entraine à prononcer le tchèque. La consonne la plus difficile est un r surmonté d’un accent circonflexe inversé. Il suffit d’y mêler ensemble le roulement, le chuintement et le son d’un « j » français. Autant dire qu’il est nécessaire de l’entendre pour accepter l’existence d’un tel prodige.

Codicille : l’activité Kafka étant survenue sans préméditation au beau milieu d’un voyage d’une semaine pour lequel j’avais inauguré un petit « carnet tchèque » dans le bistrot de l’aéroport, je me suis permis d’intégrer cet exercice de remémoration sélective dans le cadre de mes notes dont figurent ici quelques extraits retravaillés et joints à d’autres réflexions butinées au fil de ces sept derniers jours. J’en continuerai cependant le propos avec plaisir. Peut-être en ajouterai-je ici la suite ?

A propos de Clement Martin

Hop. J'en suis. Jeune enseignant très heureux de sauter le pas de l'action dans cet atelier de François Bon dont je scrute avec intérêt les vidéos et recommandations depuis un certain temps et qui sont devenues pour moi une source de motivation constante. Grand désir de plonger cet été sous les mots afin d'inonder mes habitudes d'un coup de pouce littéraire. Matériel d’écriture : table basse sur parquet clair qu'éclaire une fenêtre de toit en sous-pente, boite chinoise en porcelaine, tasse à thé en terre cuite régulièrement approvisionnée munie de sa bombilla en cours d'oxydation, ordinateur Lenovo à quinze pouces, lampe de papier, coussin de kapok (2), banquette de kapok, matelas de kapok, méridienne d’occasion, fauteuil de cuir brun, piles de livres dans de nombreux coins, tête farcie par les ambitions du jour.

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