#P6 Derrière le laurier rose

Je suis levée depuis quelques minutes et je suis assise sur la terrasse. Ma paume encore chaude de sommeil caresse mon cou endolori par une mauvaise position ou la natation de la veille. Dans la cuisine, l’écoulement agité du café et à quelques pas un voisin démarre le moteur de sa voiture. Je ne vois rien de la rue qui est devenue silencieuse au départ de l’engin motorisé, un ample laurier rose aux troncs de cinq centimètres de diamètre m’en camoufle la vue. Suis-je capable, de surcroît au réveil, d’estimer à l’œil nu le diamètre d’un tronc ? Moi qui n’ai aucun sens des distances, de la géographie ni de la topographie, du sens et des directions… Perdue la plupart du temps dans la contemplation ou dans mes pensées. En connaître l’âge, se questionner sur celui ou celle qui l’a planté. Homme ou une femme ? Pour se protéger du soleil ? Le vent soudain se lève, faisant danser le feuillage du laurier rose. Au loin, le cri intermittent des mouettes. Mon ventre gargouille et mon corps se réveille lentement. Il va bientôt revenir, volubile. Ensuite, le temps reprendra son écoulement ordinaire. Je l’attends sans l’attendre, et aspire à la solitude tout à la fois. Rien ne bouge autour de moi et j’aimerais rester ainsi la journée entière jusqu’à la fin de la nuit. Laisser aller l’esprit, déambuler dans le jardin, contourner le laurier rose et aller voir au-delà sans franchir le portail. Rester camouflée et glisser dans les rêveries ou prendre un livre, un cahier, écrire, coller, dessiner. Le choix étire le temps. Qu’y a-t-il après cette solitude et ce silence ? Le cri des mouettes encore. Le menton retenu par la paume de la main, la tête est lourde de dix mille choses à faire qui percutent la paresse. Dans la cuisine, la cafetière s’est tue.

Dimanche
Journée en transit, entre deux côtes.
Un jardin ensauvagé, envahit par les lianes de la vigne, les branches en liberté et les mauvaises herbes impolies. Sur le bord d’une autoroute, les arbres brûlent.

Samedi
Tagliatelles de courgettes, mozzarella buffala et pignon de pin grillés ; filet de merlan en croûte de sel ; une persillade qui sent le persil.

Vendredi
Se sentir fragile, repoussée par le courant, emportée par des vagues d’un mètre de hauteur.
Faire le tour d’un lac marin en écoutant l’enregistrement du zoom de Tiers livre. Réfléchir à se faire plaisir tout en gardant le rythme de la marche sportive et se questionner encore sur la légitimité d’écrire.
Une femme se tient le bas du ventre devant le poste de secours.

Jeudi
Elle me dit avoir sept ans. Elle a les yeux pétillants, une sucette dans la bouche et les cheveux rassemblés par deux nattes. Elle me raconte l’histoire du « Géant » et d’Ulysse, en remettant sa sucette à la bouche entre deux phrases. Elle me dit être en vacances avec son grand frère et sa demi-sœur et se disputer avec son grand frère. Lorsque je lui demande de quelle région elle vient, elle m’informe du numéro et du nom de sa rue à consonance alsacienne.

Mercredi
La nuit enveloppe les silhouettes. Les attitudes ne sont plus reconnaissables. Le coucher de soleil étage ses couleurs de l’orangé au noir profond. Dans ce noir, l’océan s’oublie et happe les nageurs. Ne reste d’eux que leurs serviettes abandonnées en tas.

Mardi
Soirée tristesse débutée dans la joie de partager un spectacle au rythme entraînant d’une banda. Puis l’entrée des vaches, les cordes entourant les cous, les coups d’arrêt, brutaux. Le numéro marqué au fer rouge. Jeu ou désarroi de la bête ? J’ai baissé les yeux sur mes pieds, je ne savais quoi faire de mes mains. Juste envie de partir.

Lundi
Aller à l’office du tourisme prendre des renseignements sur les balades à faire et sentir que cette demande ennuie. Je me doute que ma demande est d’une grande banalité. Faire le chemin inverse, exactement, pour rentrer et ne pas risquer de me perdre.

A propos de Fabienne Savarit

J'ai toujours eu envie d'écrire des histoires. Le temps me manque, alors j'écris par petits souffles, en atelier, dans des carnets, sur un coin de table. Mon premier roman a été publié en juillet 2020, j'en suis encore ébahie. Mes mots sont voyageurs et se perdent au creux des courants marins. https://www.facebook.com/Fabienne-Savarit-Autrice-105753008006663