dialogue #02 | les voiles s’écartent

les voiles s’écartent ; donnent à voir une femme (Ari/Elle) ; un homme (Man_sour); et un chœur d’hommes et de femmes (les lecteurs) tantôt immobiles tantôt marchant ; le son du tambour s’estompe ; la petite fille se couche au sol

je suis face à Man_sour mon frère, au centre de la scène-labyrinthe circulaire dont les échos sonores le mélange de formes figures géométries derrière les voiles viennent de s’évanouir pour laisser la place au vide On ne sait plus très bien quel est de la scène ou de sa périphérie l’espace où l’on se trouve

(Ari, je vois tes fils de laine et moi j’attends la mort sans l’attendre vraiment, à moins qu’autre chose…)

ce à quoi je réponds : (Man_sour, mon frère je préférais quand tu essayais de nous rendre joyeux avec ton flux ancien quand tu ne pleurais pas sur ton sort, toi aux larmes de taureau et d’homme—je vois que tu regardes la mer ?)

(je ne sais plus dans quel ordre quelle contradiction j’arrive !) dit-il… puis : (donc il a dû arriver…)

je poursuis : (toutes ces formes ces figures que j’ai vues tout à l’heure, toutes ces polyphonies, ces strates de voix qui essayaient de s’ériger de se créer un espace, combien de vivants ! sur les siècles…?)

j’ai devant les yeux ces toiles de J. Pollock où sa technique du dripping colle impeccablement au maelstrom des formes qui auparavant derrière les voiles remuaient si hardiment… et en des gestes s’apparente à des foules compactes pressées se heurtant (peut-être) dans leur sourde volonté de faire en sorte que tout s’en remette au néant ou se perde ou s’ouvre…

je dis : (tu pleures, je vois, Man_sour, mon frère)

dans une danse qui me caractérise (et comme Man_ sour aussi sait les faire)  qui me fait me mouvoir d’une façon tantôt fluide tantôt heurtée alors que je peux me jeter à terre ou sauter dans les airs  dans une exubérance qui m’apparente aux tempéraments les plus fougueux des dieux et des mortels que je connais bien et qui m’ont donné des destins si variés contradictoires je finis par m’arrêter pour parler au groupe des lecteurs qui s’approchent ; ils disent : (nous venons du dedans-dehors d’une énigme) ; parfois on dirait qu’ils voudraient m’empêcher de danser comme je le fais

Man_ sour mon frère dit : (nous vous reconnaissons, moi-même un peu aussi à travers vous, quand toi Ari, tu m’as raconté comme à vous tout à l’heure cette histoire de conversions de voyages sans retour)

je dis : (tous les vivants comme toi, referont surface… ce sera plutôt un éternel retour)

mon frère, continue : (et tu parleras pour moi ?!… en des voix)

(bien sûr, je parlerai avec ma voix et pour le reste…) dit-elle

il répond : (tu verras bien, rapproche des images prends des livres au hasard)

Mansour sourit veut à tout prix me distraire et me dit abruptement avoir le même prénom qu’un personnage historique peu ordinaire à savoir Mansur le Victorieux soit Giovan Battista Boetti, frère dominicain piémontais parti au XVIIIe siècle en qualité de médecin-missionnaire en Orient et très vite devenu chef de file d’un mouvement religieux cherchant à réunir christianisme islamisme et hébraïsme ! et se mettre dans la poche un empire grignoté à force de fidèles tués de pays enlevés entre autres aux turcs aux russes et qui en réalité cacherait d’autres Mansur en fait des sosies (des espions ?) prêchant comme lui en faveur de l’inceste et du suicide et qui n’a eu de cesse de faire s’interroger les gens sur son identité épatant les foules en maniant des tisons ardents en faisant sortir des pièces de monnaies des oreilles des gens et qui aurait finalement été défait par le prince Potemkine

les lecteurs crient : (Sicile, Syrie, enfance, rêve, pays !)

je jette mes fils de laine au pied de la petite fille qui dort toujours couchée par terre

je dis : (Mansour, je n’ai pas pensé à ce geste avant de rentrer en scène, j’improvise)

(très bien), dit-il, (on a toujours dit qu’on improvisait)

la petite fille se saisit d’un fil de laine

je dis : (j’ avais regardé la petite fille dans le bateau elle serrait les poings parce qu’elle avait peur elle avait peur du bateau de l’eau elle était malade en bateau elle était malade de quitter sa terre sur l’eau à chaque mouvement du bateau un sursaut qui provoquait un soulèvement de sa petite poitrine comme dans un sanglot mais en réalité sans pleurs avec dans les yeux sa peur la petite fille ne regardait personne parce qu’elle aurait peut-être pleuré à trop regarder les autres elle serrait les poings son corps qui semblait prendre son envol à chaque mouvement de l’eau-elle était si légère- lui volait quelque chose d’elle qu’elle serrait contre elle en fait rien ou la main de son frère elle avait peur de perdre sa main à lui mais pas lui ou ses parents elle n’avait pas peur de les perdre eux avec elle dans le bateau Elle n’y pensait même pas en les regardant elle n’éprouvait aucune peur)

je rajoute en m’adressant à Man_sour : (parfois on avait l’impression d’échanger nos voix de prendre la voix le regard des autres d’être dans plusieurs endroits à la fois sur le bateau …comme des bras de Méduse !)

mon frère intervient : (ce serait l’histoire d’un exil…  d’aller toujours plus creuser dans l’ombre et la lumière)

aux abords de la scène- labyrinthe sans mur sans porte avec cette apparence de désert liquide fantomatique on entend une voix et l’on sait à qui elle appartient

(si on le laissait faire…) me dit Man_sour mon frère

mais je réponds : (il est déjà arrivé et reparti avec son épée on y a vu que du feu !)

A propos de sandrine cuzzucoli

Aime le temps suspendu en contemplant, lisant, dessinant, parlant, regardant le plafond, les visages, peintures, ciels.. Dans mes études passées mais encore présentes!: la littérature américaine, italienne, les beaux-arts, la traduction et d'autres choses depuis... Ecris en revue depuis environ 5 ans, dessine depuis plus, c'est un aller-retour constant un peu comme un Appel de la Forêt, le titre d' un des premiers livres de Jack London- que j'ai aimé!

4 commentaires à propos de “dialogue #02 | les voiles s’écartent”

  1. le labyrinthe, l’ombre et la lumière, les imbrications d’histoires, de monothéismes, de guerre… Pollock et l’enfant embarquée qui s’endort sur le sol. Une étrangeté, des images fortes en théâtre d’ombres liquides

    • Merci beaucoup nathalie, dans cette nouvelle phase du cycle….très laboratoire très nouvelle et donc votre commentaire fait vraiment du bien! A très bientot Amitié.s.

      • … et très bel apport à la revue Dire I . texte image – Intriguée par le travail pictural ( support – médium- format ? ) merci.

    • A nouveau Nathalie un grand merci pour la revue DIRE qui compte beaucoup pour moi…les images sont en fait des interventions au pastel à l’huile et solvant sur tirages papier de photos prises sur internet -format A4….c’est un travail que j’aime beaucoup faire et qui peut mener à des résultats plus ou moins éloignés de la réalité….J’attends avec impatience mon exemplaire! (vers l’Italie!)