Dialogues

Dialogues

Une vieille femme sur un banc, son fils à côté d’elle. Ils sont vêtus avec élégance.

Il tient un livre qu’il n’ouvre jamais. Elle est perdue dans leur silence. Le sien et celui de l’autre. Elle parle maintenant à voix très basse. Un murmure de mots sans suites. Sa main va et vient sur sa cuisse, une main flétrie, déjà froide. Elle ne regarde pas son fils.

Il ne l’écouterait pas, les yeux se perdent. Elle se tait, l’interroge sans bruit derrière ses lunettes noires. Elle essuie une larme. Aucun geste. Tout est dit. Le dialogue de l’oubli.

C’est une langue de terre entre mer et mer où rien ne pousse, que le grondement de l’eau sous les trous de roches. Des tankers croisent au loin. Ils se déplacent en catimini. Un cormoran passe en silence. Sur le rivage, des traces abandonnées : un fil de pêche embrouillé, des bouts de bois usés ,des restes de coquillages, des bouts de verres polis par la mer. Un homme se repose sur le sable. Il ne fait rien, absolument rien. Il contemple l’horizon. Il pense aux retours de bruits, aux caresses des mains, aux musiques qui s’étreignent quand la nuit s’étend, aux fantômes des marins dans le scintillement des flots, aux couleurs des arbres nains, verts et jaunes malgré l’hiver. Il écoute les mots d’avant. Ceux des déserts, des pyramides, ceux des orages, des tempêtes, des ouragans, ceux des terres sauvages, des frôlements, des feulements, des géants oubliés au fond des gouffres marins. Il se lève enfin, met son écharpe et son bonnet de laine, ferme son manteau et s’en va à pas lourds en longeant la plage.

Une cartomancienne assise devant une table délabrée sur une chaise vétuste près d’un magasin, à l’angle pour ne pas se faire dégager. Un chien noir près d’elle, un chien noir pelé aux yeux rieurs. Elle manie des cartes de tarot usées de sueur. Devant elle une femme à genoux. Elle attend l’oracle. Sa vie se vide dans cette pause d’allégeance. La cartomancienne bouge à peine. On la croirait de cire. L’hiver fait cet effet-là, le ralenti du geste. Le chien dans sa patience de bête agite à peine ses pattes avant, l’une après l’autre. La pattes droite : les malheurs vont s’abattre, la patte gauche : la rédemption. C’est la gauche qui se lève. La passante pousse un soupir de soulagement esquisse un sourire. Elle se redresse, fouille dans son porte-monnaie, tend un billet et s’en va. L’animal repose ses pattes, la cartomancienne range le billet dans une boite en fer blanc. Elle attend.

Une table en bois et deux bancs, une boulangerie à la façade en bois. Deux jeunes gens assis devant un café et un thé. Ils ont dépliés un plan de la ville, inconnue pour eux. Ils regardent avec attention, essayant de trouver le chemin. Ils échangent à voix basses, reviennent sur le plan, lui, montre du doigt un point précis, elle, fait non de la tête. Il recommence autrement. Elle ne semble pas convaincue, dépitée même. Il pousse un soupir, commence à plier le plan. Ils sont perdus, ils se sont perdus un bref instant. Un homme qui les avait observés s’approche timidement, il leur demande s’il peut les aider. Lui, redéplie d’un air las, elle , regarde ailleurs. Elle feint l’absence et joue avec une bague qu’elle roule le long de son doigt. L’homme va chercher un papier et un stylo au comptoir. Il revient et note soigneusement la route à suivre, les métros, les arrêts, les repères. Les deux le remercie. Il leur fait un signe et s’éloigne. Les deux se regardent de nouveau, finissent leurs boissons, se sourient. S’en vont main dans la main.

Un groupe d’adolescents/une quinzaine/ encore enfants. Ils jouent à se courir après. Les garçons lancent des plaisanteries lourdes, leurs voix dérapent, se fêlent par moments. Les filles se défendent, poussent des cris aigus, se regroupent et repartent. Elles répondent aux quolibets par d’autres. Un seul est à l’écart, il ne les regarde pas.  Il est assis , absorbé par son smartphone, totalement concentré. Il est ailleurs. On l’appelle, il ne répond pas. Il s’est fondu dans son langage automatique. Les autres ont cessé leurs jeux. Encore quelques rires et gloussements étouffés. Ils se rapprochent de l’assis en partance. Ils attendent un signe, qu’il fasse attention à eux, enfin. Mais un chef même d’une troupe disparate choisit seul son moment. Le groupe s’ennuie rapidement. Il le sent. Ne pas perdre son influence. Il se lève presque majestueusement, presque dédaigneusement. Il les toise et s’en va. Tout le monde le suit.  

A propos de Guy Torrens

Guy Torrens est né en 1952 à Alger. Après des études de philosophie, il se tourne vers le métier d’éducateur auprès de jeunes délinquants. Il anime des ateliers d‘écriture créative à Marseille où il réside. L’écriture et la scène : Chanteur parolier de trois groupes de rock punk ( Fin de série, Dirty Bitch, L.V.3.S) de 1985 à 1995. Tournées principalement en Allemagne, Pologne, République Tchèque, Belgique. Das Klub. Scène vide. La nuit a digéré les derniers spectateurs. Claquements répétitifs d’un soupirail mal fermé. Rythmique minimaliste. « Port de l’angoisse, je bois tes mots, pas tes lèvres. » Les derniers mots flottent encore. Martèlement des pieds, jets de bière, éjaculations spectaculaires. L’écriture et la nécessité : Après la mort de son compagnon qui a partagé sa vie pendant 25 ans, il se consacre entièrement à l’écriture. Poèmes, romans, nouvelles, pièces de théâtre. C’est le bruit du moteur. La mort ne fait pas de bruit. Une fuite sidérée. Celle des rêves. Sombre était le jour, sombre était la nuit. On vivait dans cette opacité, propre à rendre fou, n’importe quel homme normalement constitué ; Le message arriva le matin du 2 janvier. Un cri d’année nouvelle. Anonyme. « La vie n’est qu’un sillon, celui qu’on ne peut tracer, les nuits d’errances sont des meurtres. »

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