vers un écrire/film #06 | effraction

…pas plus grande qu’une feuille pliée en quatre sur le mur par les rideaux de la chambre de la maison louée pour les vacances, cette lumière à l’heure de la sieste; — pas plus —, à peine plus grande que sa paume, sa paume d’enfant. Cette effraction de lumière comme un écran flotté sur le papier imprimé de roses : pâles fleurs en boutons ou en fleur — une sur deux— pâles roses aux détails botaniques démultipliés sur le mur de papier de cette chambre d’été à l’heure de la sieste. Une feuille de lumière qui prend la matière du papier aux linéaments de roses, de roses en boutons, d’un rose rose apâli — une sur deux—, ou en fleurs: ce rose presque rouge avec une touche de jaune et de noir au cœur. Un écran à peine plus grand que sa paume d’enfant, qu’elle caresse à tâtons de sa paume, effleurant la lumière qui se dérobe et la recouvre. Et vient à l’ouïe: la mer. Le flot. Un remuement de sable et d’eau, d’éclaboussures heurtées de ballons, de rires, de voix. Puis cet appel d’en haut vers en bas, de la terrasse vers la plage, du balcon vers le rivage, du sable vers le flot et la fumée de la cigarette fait un petit nuage au dessus de la tête de la mère qui se penche pour crier de ne pas nager loin, de revenir… par ici: sa voix chargée du parfum des pins qui ont roussis et du goûter fondu. Et dans le geste du bras, dans le mouvement languide de la main de la mère qui les appelle, penchée à la rambarde de cette terrasse donnant sur la mer, c’est un bateau qui part du havre ou d’ailleurs… Avec ce filet de vent qui pousse les rideaux de la chambre, qui gonfle entre l’enfant et le dehors brûlant, leurs ventres noirs… et sur le dos de sa main la chaleur d’une feuille de lumière, à peine plus grande que sa paume, surgie par effraction d’entre les rideaux noirs de la porte fenêtre à l’heure de la sieste; et derrière il y a le grand incendie blanc du ciel. C’est dans cette maison louée pour les vacances d’été sa paume d’enfant sur les roses du papier et sur le dos de sa main une feuille de lumière qui la réchauffe avant la nuit. La grande nuit percutée…

tenter d'étirer le temps de m'attarder (en sourdine) étrange impression d'avoir nagé dans la mer morte ( et comprendre qu'il vaut mieux se laisser flotter sans baisser les bras cependant ) 

A propos de Nathalie Holt

Rêve de peinture. Quarante ans de scénographie plus loin, écrit pour lire et ne photographie pas que son lit.

15 commentaires à propos de “vers un écrire/film #06 | effraction”

  1. Quel beau texte. Merci Nathalie Holt pour cette effraction. Votre feuille de lumière(s) est à mettre au pluriel tant elle ouvre de portes. Merci.

  2. Etrange sensation d’être dans un film d’Eric Rohmer. Flottement bienheureux. Enrobant.

  3. Je me suis laissé flotter moi aussi, porter par les flots et la rumeur, les vagues de lumière dans l’entrebaillement du rideau. et je crois bien m’être retrouvé dans une espèce de cocon, l’espace d’un instant. — Oh, la « nuit percutée » ! — Merci.

  4. C’est ça, l’impression de nager dans la mer morte (j’imagine). Ou plutôt un mélange d’air et de lumière, très évanescent. Belles et riches sensations. Merci pour ce moment en suspension, entre points de suspension.

  5. Flottement, je garderai et userai du mot moi aussi
    j’aime beaucoup cette idée de feuille de lumière et je ressens « le grand incendie du ciel blanc »
    très riche et beau

  6. Très délectable vaporeuse suspension en effet, un peu Combray ou Au phare (et la scansion du détail du papier peint, ces tirets, pourrait presque faire comptine), mais cette « percussion » à la fin… comme si tout ralenti en exigeait une, ou l’anticipait

    • Je suis abrupt et ne me fais peut-être pas comprendre, pardon. Cette percussion finale est le point d’orgue ou coup de théâtre qui finit de dynamiser le texte, dans sa suspension même. Je l’apprécie pour cela

  7. Ugo, Louise, Will, Rebecca, Jean-Luc, Bruno, Danièle, Clarence, Françoise, Christophe Merci beaucoup du passage et des mots