Ecrit par le temps

Deux ronds, deux traits, un cercle pour tenir ensemble, je la dessine et elle me regarde. J’ajoute une courbe, elle me sourit. Une goutte, une larme, et elle pleure. Deux traits pour fermer les yeux, et elle dort. Et je la regarde et je lui souris

Puis je prends le plus beau pinceau, le plus fin, pour ajouter des ombres, créer des joues, éclairer le front, une couleur douce, du mauve peut-être – j’aime le mauve – et puis un peu de rose, bien choisir le rose, pas trop mièvre, elle ne mérite pas du mièvre, regard droit, rebelle déjà, étincelant Puis c’est elle qui met le rose sur ses joues, le noir qui noie ses yeux verts, qui noie mon regard dans ses yeux verts, le brillant sur ses lèvres qui n’arrêtent pas de remuer, de parler, de chanter, de répliquer, de faire une moue de doute ou d’indifférence ou de rire aux éclats.

Sous cette coiffure de madone, on la croirait si sage s’il n’y avait des mèches mauves ça et là, ces mèches qui tombent devant ses yeux quand sa tête se penche sur un petit engin greffé dans sa main, aimant puissant, point central d’une attention démesurée, lien exclusif entre les yeux et la main, entre le regard et un écran aveugle qui lui cache le monde pendant quelque temps

Et puis, elle redescend dans nos vies, elle revient vers moi regarder le ciel, les étoiles, la lune, ronde et laiteuse, que faut-il de plus que quelques traits pour ressentir un visage dans une lune au-dessus du monde, deux ronds, une courbe, un sourire flottant dans l’univers. Ou deux morceaux de charbon, une carotte, une pipe et peut-être un chapeau et le bonhomme de neige nous devient familier jusqu’à souffrir quand il fondra au printemps sous le premier soleil, dégoulinant en suée, perdant le nez et les yeux en pleurant jusqu’au néant

Elle grandit, elle change, le miroir lui renvoie ce qu’elle n’aime pas voir et pourtant elle cherche, elle approfondit, moi, je la trouve belle, mais elle, c’est juste bof ! Il faut apprivoiser l’image, lot commun de tant de jeunes et même des moins jeunes, peut-être qu’elle ne s’habituera jamais tout à fait, elle s’enjolivera, elle s’embellira, elle prendra de l’assurance, ses traits aussi, elle surveillera, elle se scrutera, il y a les ressemblances qu’elle récusera, que elle n’acceptera jamais et pourtant les autres les voient, les renvoient, les commentent, impossible de les nier, les yeux dans le miroir sont bien ceux de sa mère, le sourire ironique, la moue affectueuse, le nez qui se froisse, la langue qu’elle tire en signe de révolte devant son image, ces signes gravés dans son corps, dans sa famille, dans son histoire

A propos de Monika Espinasse

Originaire de Vienne en Autriche. Vit en Lozère. A réalisé des traductions. Aime la poésie, les nouvelles, les romans, même les romans policiers. Ecrit depuis longtemps dans le cadre des Ateliers du déluge. Est devenue accro aux ateliers de François Bon. A publié quelques nouvelles et poèmes, un manuscrit attend dans un tiroir. Aime jouer avec les mots, leur musique et l'esprit singulier de la langue française. Depuis peu, une envie de peindre, en particulier la technique des pastels. Récits de voyages pour retenir le temps. A découvert les potentiels du net depuis peu et essaie d’approfondir au fur et à mesure.