En son for au fer fort

Casque brun, chevalier, ligne du regard vert comme chat sous front franc, tour forteresse au centre, large trait de chair rosée, creux aux joues fossettes où le sourire dévoile les dents, barricade qui rompt parfois quand se répand le rire, menton carré : espaces horizontaux juxtaposés de haut en bas vers l’horizon – avancent masqués, marqués au fer fort

En son for intérieur des matins clairs là-bas, le soleil et la mer irradiant, vagues au large ; en son for intérieur ne pas garder les quatre murs, tant pis pour ceux qui restent, ô grands oiseaux de ciel blanc, ailes déployées largement, nuages de soie au-dessus des sirènes, les bateaux, à perte de vue, à la fenêtre, des bateaux des oiseaux

Il est derrière son comptoir, il dit bonjour il dit bonsoir, vend des journaux, bonbons, gâteaux, paquets de cigarettes – plus loin la machine à café, le temps qu’il fait, bonjour chez vous – tablier blanc pour la remise, et dehors des stands de souvenirs, colliers bijoux pour vacanciers, soleils d’été autour du cou

Bonjour qu’est-ce que je vous – bien sûr – et comment aujourd’hui – oh il fait beau, hé oui – pas comme là-bas – Paris – c’est pour ça que, hé oui, hé oui – des Marlboro, et le café à emporter – le plein sans plomb, faut voir mon collègue à côté – du monde, c’est la saison, tant mieux parce que sinon – tant mieux tant mieux, c’est ce qu’il faut – on va pas se plaindre – oh la famille, oh oui, oh oui – les filles ? ouh, ça grandit !

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Cible concentrique, ronds les yeux le nez, rondes les lèvres, les joues éternelles d’enfant, face de lune ou de soleil selon jour selon nuit, joie chagrin, planètes pupilles dans l’obscurité étoilée

En son for intérieur une charge de mots qui ne disent pas leur nom, se tapissent et se taisent et font tapisserie, qui jamais ne prononcent ; en son for intérieur des lettres mêlées mélangées sur le cadran du temps tardent à refaire le monde ; en son for intérieur, une sphère inversée de mots muets, à remettre à l’endroit

A sa table, son bureau, espace lieu chambre temps et coffre de carnets, touches, écran – des barres de lignes noires – à gauche la fenêtre donne sur les toits, la rue, plus loin la mer et elle regarde au loin de l’autre côté de l’eau, la rive, les bateaux

Raconter, recréer l’ordre avant de crever, c’est ce que je me dis : c’est-à-dire que l’on peut mourir, c’est ça aussi, c’est pour ça que – ne pas laisser dans les tiroirs, moi ça m’étouffe dans les placards, des caisses de lits de cahiers confinés – ah tiens oui confinés, voilà bien le mot ! tiens, je le cherchais – confiner, voilà voilà, bon ben maintenant il faut confi_er

Illustration – collage : Zumeru

A propos de Claire Le Goff

Pratique théâtrale, mise en scène et écriture à Bastia, Compagnie Ghjuvanetta. Enseignement du français langue étrangère. Quelques publications : Mademoiselle Grelon (La Scène aux ados, Promotion théâtre, éditions Lansman, 2015), Des Miettes (recueil de nouvelles La Peau des autres, éditions La Passe du vent, 2015), Café de la Porte Dorée (recueil de nouvelles, concours Musanostra 2018), Contre le mur de pierre, Et sa désolation (recueil à venir, Musanostra 2020). Blog d'écriture en cours, Confiture d'épinards. Heureuse d'être parmi vous !