#enfances #01 | éclats d’enfance, hommage en cut-up – dans vos textes j’ai trouvé…

Grâce à un commentaire reçu qui parlait d'éclats, de petits bouts d'enfance que l'on a en commun, je me suis mise à arpenter les textes des autres à la recherche de ces petits bouts et je n'ai pas su m'arrêter. Je crois que c'est dans cette récolte, trouver dans le texte des autres mon regard d'enfant en isolant un petit morceau, que je me suis le plus approchée de ce que je pense être important dans ce cycle en termes d'écriture. 

Ce texte est donc composé d'une phrase extraite de chacun des portraits présentés dans chacun des textes publiés sur le wordpress jusqu'au 2 novembre minuit sur la proposition 01. J'ai parfois retouché la phrase originale juste pour mettre au présent, coupant un bout pour le rythme et anonymiser, en mettant souvent "on" plutôt que "je", "celui qui" ou "celle qui" plutôt que "il" ou "elle", ce sont des choses qui me semblent permettent de rendre compte de cet universel de l'enfance que j'ai trouvé dans chacun de vos textes de cette proposition, j'espère que les auteurs ne s'en formaliseront pas. 

Le bruit des étrennes minutieuses et équitables

Celle qui cherche une clé et qui, petit à petit, disparait des trottoirs, des conversations, des souvenirs

Le pinceau et la palette trouée

De nuit, dans Paris, un paysage aux larges coups de brosse mais reconnaissable à coup sûr, que des personnages silencieusement hantent.

Une ambiance de guerre et de rancœur

La dernière lettre du mot qui se prolonge d’un trait revenant en arrière, qui  glisse sous le mot pour faire signature

La chaleur écrasante sur le parvis de graviers bordé de pins à pignons donnant sur des champs de sel

L’accent pointu des parigots

Le pas de la porte du magasin tout blanc, où règne sa maman toute blanche

Les jeudis après-midi cousins et cousines, sur la terrasse entre la maison et le muret du jardin

Une boite dont on ne sait pas ce qu’elle contient

Cette voix écorchée chez une femme si discrète et rassurante

Le pied qu’elle traine d’où vient la gêne et la claudication

Un tricot de peau bleu ciel, taché sur le ventre

Le visage autour de l’œil, l’objet de verre, cette sorte de bille bizarre

L’arrondi, la tension sur le pull lie de vin étiré, et la question de savoir comment ce ventre avait pu croître

Celui qui n’a pas de nom, qui n’est connu d’aucune manière, qui habite dans les blocs bleus

Sur la peau bronzée de qui travaille dehors des tatouages baveux de taulards

L’escalier, devenu paisible pendant deux mois

Une fusée remplie sirop, une rouge goût grenadine, que l’on préfère aux jaunes et aux vertes.

Un petit chien hargneux qui aboie à chaque rencontre

Les aigus de sirène d’une fenêtre à l’autre qui réveillent la rue étroite

Une pièce encombrée de paniers débordant d’étoffes.

Des chaussures qui sont plutôt des galoches, pas celles d’un gentilhomme, mais d’un clochard

Une main boudinée, dodue, aux doigts courts, aux ongles écarlates

La peur du chien le long des murs pour aller chercher le pain

Le prolongement infini du comptoir plein de tranchants de M. Deguin

Les vieux de l’hospice, et contre les murs de l’église, la bouillasse qu’il serait infect de modeler dans ses mains comme on le faisait avec le sable de l’école.

La fascination de la robe noire de tante Laure et la crainte du gout de rouille des lames de couteau

Le sourire d’enfant perdu ou jamais eu de Tante Lily

La délicatesse des minutes égrainée du bracelet montre tressé de celle qui entreprend de déchiffrer l’heure

Le côte à côte avec l’homme à la peau d’une vie passée aux vents du dehors, le long du mur, entre les deux fenêtres noires

La grosse main aux poils noirs du Père Noel et la honte que l’on a attrapé, en si peu d’années

Le ventre creux causé par la fille passagère, pas habillée, pas coiffée, la fille pas comme les autres filles.

Le bonhomme patient et rougit que les souvenirs maintiennent debout au milieu du salon, dans l’attente de la fin de l’orage

Le petit froid entre Elle et Papa

Les rochers rouges de la villa Palm Eden à Golfe Juan

Le murmure des plaintes symétriques de celles que l’on n’aime pas embrasser

L’œuf en porcelaine rempli de chocolat dans l’assiette de limoges, sous la serviette empesée

L’odeur de céleri de celle qui s’appelle aussi, Marcelle

L’inquiétude produite par celui qu’on ne voit jamais en entier

Le gout de savon des fromages que l’on achète à celle qui est comme un vieil arbre aux branches tordues par les vents

Le visage de la nounou qui sourit sans que ses lèvres ne se retroussent

L’odeur de café et de grand air du docteur de Garches

Le visage de Pascal, celui du rire franc qui vient du nez et qui claque dans l’air

Le gilet qui a l’air trop petit de Mamie, celui un peu de travers | guingois | boutonné lundi avec mardi

La 2 CV rouge et noir de la mère Chapeau

Le tic-tac totémique de la grande pendule dans le coin

Le stéthoscope glacé du docteur A.

Les petits pas à peine levés, presque étouffés des pantoufles de celle qui reste

L’oncle rigolo sans doigts, avec son bras en bois

Le souvenir odorant de tabac blond fondu dans un parfum musqué

Le terrible métronome qui martèle ma nonchalance

Le joli petit buffet américain vert d’eau de Madame Léger

La belle machine à coudre de la femme de celui qui a sauté, comme ça, en pleine action

La main de Jeanine aux doigts épais et aux ongles cernées de terre, qui remplit le verre aussitôt qu’on l’a vidé

Toute la hauteur des escaliers qui défile au travers de la fente, entre les deux portes

Le nom du patron de papa  qu’on s’entraîne à prononcer

Des carrés de chocolat noir tirés d’une armoire mystérieuse massive en bois

Les talons très hauts noirs et brillants qui capturent les reflets de la lumière froide.

Le sourire « sauvés d’avance » du moniteur aux yeux verts

Le goût de la colle légèrement désagréable et sucré qui persiste sur la langue après

La voix tonitruante qui gueule, roule des vagues de sabir franco espagnol auquel on ne comprend rien

L’ennui gris de Madame Burdin

Le crâne de Monsieur DG, scalpé comme les cow- boys qui se font attraper par les indiens

Les charentaises de la dame au visage de pomme ratatinée

Le tablier blanc du Docteur A., grand et impressionnant

 L’abattage des platanes du boulevard Saint-Michel en mai 1968

Le tutu de coton rose qui fait rêver les mamans

La pièce pas chauffée et le fromage qui s’assèche

Celui dont on n’a retenu ni le nom ni le prénom

La forme tassée sur le vieux vélo avec sa cagette sur le porte-bagage et ses sacoches grises de chaque côté

Les monuments du monde entier qui me regardent tous, alignés sur le buffet

Le temps qui passe dans la chaleur de la moquette

Les consonnes emphatiques de celle qui a grandi à Ciechocinek

Le rire de la cousine, celui qui peut mettre fin à tous les malheurs du monde

Le personnage important, mais en retrait, qui ne règne plus vraiment que sur sa chambre

La scie et sa découpe minutieuse, à vue de nez, de la quantité demandée

Les tranches de mortadelle comme les biceps émergeant de la chemisette à chevrons blancs et bleus

La main atrophiée, aux petits doigts à peine ébauchés au-dessus de la paume

Mme J. et son air triste qui s’explique sûrement par cet affreux « blitz »

Les hommes qui s’installent dans des fauteuils, allument une cigarette, parlent de la Sarre, mot mystérieux qui semble cacher quelque secret

L’œil gauche mort, iris et pupille confondus, d’un blanc laiteux ou d’un gris variable

Le pantalon continuellement peu net, tâché d’impressions d’auréoles et d’odeurs discrètes

Le pourrissement des dents d’un patient âgé de 38 ans et la toxicomanie du fils adolescent

La main à quatre doigts, roses et décharnés, de Gaston

Les instruments, froids et précis, que l’on colle sur la poitrine ou que l’on glisse dans les oreilles

La gifle reçue que l’on met en scène

Les petits lus dont on grignote les angles avec application pour ne pas engloutir trop vite le moment de douceur

Le regard qui va du tableau à la main gantée de noir dont les tremblements ne cessent pas

Les volées de mots en patois que l’on cri lorsque la vie parait plus mauvaise encore que la veille

La course le long de la ligne de touche, le raffut si quelqu’un tente de s’interposer, et ce pied, que l’on n’a pas vraiment vu

Les études non, l’usine plus tard, cette époque-là avant les événements

Les cheveux raides et le joli sourire, quelque chose comme des excuses d’être aussi forte en tout

Les bureaux, les taches d’encre violette, le porte-plume, la sergent-major ce genre de réminiscence aussi

La vraie tendresse qu’on n’appelle pas comme ça, dans ces moments-là, mais véritable

Le papier imprimé vichy posé sur la balance

Le visage du lépreux qui rappelle les gueules cassées dont les photos ornent le manuel d’histoire

Une houle d’étoffe, de poudre, de talons, d’exclamations

Le vin aux yeux du fils Aunis

Entre la table à repasser et la fenêtre celle qui semble arrêtée comme une horloge puis repart

Le majeur et l’index de la main droite couleur maïs qui déplacent le pion noir et prennent ma dame

Dans le wagon, le chapeau au-dessus des mots

Les miettes imaginaires que l’on balaye du plat de la main, pendant qu’on parle

Les nombreux interdits de celle qui est plus qu’une voisine qui aide la mère parce qu’elle travaille

Le dentier mâché qui pourrait sauter de la bouche

Le rhum sec du décollage et celui sans amortisseur

Les sièges en cuir crème qui collent un peu et le salon bleu interdit de la maison

Les poupées russes, c’est le mot sur le bout de la langue, ce qu’on voudrait dire, comment dire

Les conversations cassées que l’on écoute et l’étrangeté du libanais

La voix grave que l’on guette, dans les couloirs de l’école

Le pyjama des voisines pour le café du matin

La main ridée de fatigue et le cuir qui reprend peau

Le seul bruit mat, des sabots du cheval

Le nom que l’on a gardé, le visage qui s’est évaporé

Le grand cahier avec des modèles sainte vierge, communion, anniversaire.

L’odeur d’alcool ménager qui se mêle aux effluves de café jusqu’à l’étage

Juste l’odeur de son tabac à priser

Les cheveux libérés encore entortillés par leur forme contrainte

Le nom exact que l’on a oublié

Aux beaux jours, la chaine à gros maillon autour du cou

L’heure entière devant soi, avec dans les poches, rien d ‘autre que la carte de bus

Les poupées cassées, les corps morts, les graines, les trésors et les papiers dont on se débarrasse

Ce blanc pris dans le bouillonnement bleu sur lequel elle règne

Un labyrinthe de vieux buis où sont nos cachettes, les verres dans lesquels on a nos médicaments et nos cérémoniaux

Seules les mains tordues de Monsieur Bonnot, crispées sur ses pinceaux

Une présence d’humanité absolue prenant soins de tout, de toutes et de tous.

Celui qui marche à mes côtés quand je ne marche pas encore

Dans la cour de l’école, Sautez, dansez, embrassez qui vous voudrez.

Le mari, dans l’âtre de la cheminée à la gauche des flammes

Au début, les deux dames à la cantine, celle qui ne reviendra pas et celle qui hurle

La chevelure noire arrondie et le visage concret de Bertrand

Les pères qui perdent la patience en conduisant

Son nom, avec un u à la française, qui fait comme un ü à l’allemande, qui fait prononcer le début du prénom comme « rude »

M. Chmer -la prononciation va bien avec le sourire-

Un fils qui ne s’appelait pas Laurent mais il y a des prénoms qu’on oublie

L’odeur rance de l’alcool. Les relents de nourriture. La vieille soupe. Le rire de canard du père qui hurle à tue-tête.

Des doigts trop courts avec un nœud au milieu en guise d’articulation

Les grandes chevauchées sauvages au milieu des villes, les ruades mécaniques des trains au petit matin

Une main à quatre doigts, le plus grand des doigts, celui du milieu a été coupé, c’est un petit doigt tout arrondi comme une bosse

Après l’heure de la sieste, les volets encore clos

Un grand sac pour emmener les enfants pas sages

Celui qui parle du temps matériel, celui qui  a les doigts jaunis par le tabac

Ses mains dans l’eau de javel dans cet hôtel de Vichy

De bricolage, de vigne et de vendange, d’élevage de poules, de pigeons et de lapins, toutes ces activités entre loisir et subsistance

La porte qui se referme doucement, lentement il faut attendre, être patient

L’accent du Bourbonnais et des chaussures à talons aiguilles

Celui qui conduit sa camionnette tube Citroën avec une seule main

La peur au début puis on comprend que c’est juste pour dire quelque chose.

Dans sa robe noire au dos voûté, en haut de ce petit corps plié en deux pour l’éternité

Les cicatrices sur le visage qui forment par endroit un quadrillage

Un visage, un chien. Comme deux ombres noires, le chien content remue la queue

A propos de Line

De métier éducatrice auprès d'adolescents en difficulté. Depuis un an animatrice en atelier d'écriture ( DU animateur en atelier d'écriture Université AIx-Marseille 2019-2020) et porosité entre ces deux espaces là qui se mélangent quelque fois, parfois plus que je ne le crois.

12 commentaires à propos de “#enfances #01 | éclats d’enfance, hommage en cut-up – dans vos textes j’ai trouvé…”

  1. C’est une façon de lire poétique que j’affectionne. Les « indices » prélevés sont comme les éléments d’un collage subjectif qui sublime les intentions originelles nominales sans les annuler. A la manière psychanalytique mais sans les interprétations qui risquent d’être assez convergentes : les objets-souvenirs sont des reliques, des reliquats, il ne faut pas leur en demander plus. On les jette ou on les vend. Il faut vider beaucoup de greniers, d’appentis ou de caves pour faire place nette et reconstruire une ou plusieurs vies par dessus.

  2. L’envie prendrait presque de s’essayer à réagencer la matière en fonction d’images, de thématiques, d’analogie…une matière à orchestrer.