#enfances #01 | Dans mon regard, des lieux, des femmes

Peyriac-de-mer, C’était chez Marraine. Celle de ma mère. Mais nous aussi on l’appelait Marraine. Deux à trois fois par an, on allait y manger un repas qui durait tout l’après-midi. En été comme en hiver. L’été c’était la chaleur écrasante sur le parvis de graviers bordé de pins à pignons donnant sur des champs de sel, c’étaient les mouches et les moustiques qui passaient au travers des rideaux en perles de bois colorées. L’hiver c’étaient le gros édredon tout doux du lit, le tabouret pour y grimper et le pot de chambre à fleurs bleues sur une faïence jaunie par le temps. Marraine n’avait plus de dents et ses lèvres étaient tournées vers l’intérieur de la bouche. Ses vêtements, ses cheveux, ses yeux, tout portait le deuil et pourtant elle souriait tout le temps plissant ainsi la peau blanche de son visage en papier crépon.

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Chez elle c’était à Paris, quai du point du jour. C’est dans mes souvenirs que c’était à Paris et le quai était bordé d’immeubles haussmanniens noircis par la proximité du passage des voitures. Ce n’est pas ce que montre Google Earth… Elle habitait avec son mari au troisième étage. Elle sentait bon la poudre de riz et parlait avec l’accent pointu des parigots, parlait sans arrêt en riant bruyamment et en gesticulant amplement. Théâtrale. Toute en rondeurs. Son appartement n’était pas très grand et je n’en connaissais essentiellement que deux pièces. Celle dans laquelle il y avait sa garde-robe où elle nous laissait nous déguiser avec des vêtements bariolés et pleins de fantaisies, et la cuisine dont la fenêtre donnait sur une courette. Elle, c’est-à-dire Tatie N. était sophistiquée et aimait les pigeons. Elle leur mettait des graines sur le rebord de cette fenêtre et leur racontait des histoires comme elle aimait nous en raconter. Elle en débordait.

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Béziers. Un nouveau magasin d’alimentation dans le quartier et pas des moindres. Une crèmerie, produits laitiers tout frais, mottes de beurre, crème fraîche à la louche et fromages de vache. L’intérieur était tout blanc. La vendeuse aussi. Tablier blanc, teint blafard d’une femme longue et fine, cheveux blonds platine. Ce n’était pas le lieu que nous fréquentions, la cuisine à la maison étant faite uniquement à l’huile d’olives mais en classe je fréquentais la fille de la crémière. On rentrait ensemble après l’école et je la quittais sur le pas de porte du magasin. Du magasin tout blanc, où régnait sa maman toute blanche. Elles avaient toutes les deux une voix fluette porteuse de l’accent parisien qui renforçait leur étrangeté.

A propos de Claudine Dozoul

Se balade entre écriture et pratiques artistiques diverses. Animatrice depuis longtemps d'ateliers d'écriture.