#enfances #03 | Danser

Danser.

Dans les rayonnages, dans le salon, dans le restaurant, je lève le bras, je tourne, je regarde en haut, je regarde en bas. Je fais un cercle avec le bras. Je ploie. Je fléchis les genoux. Je penche la tête et mon corps part à droite, et je bascule le bras et mon corps s’en va vers la gauche. C’est l’oreille qui guide le bras. Je lève la main et je sens le poids de la main que je relâche et mon corps tout entier sombre avec ma main qui dans son élan me porte de l’autre côté. On dit danser. C’est l’oreille qui guide le bras et donne du poids à la main. C’est l’oreille de l’intérieur, l’oreille interne, qui écoute et entend tout. C’est l’oreille encore qui me fait virevolter. Danser avec les oreilles. Elle ne l’a pas dit comme ça, mais je l’entends pourtant moi de cette oreille, de cette oreille interne qui écoute tout à l’intérieur et qui dit que je pèse plus lourd d’un côté et plus léger de l’autre. Alors danser, pour trouver l’équilibre dans le mouvement. Je contracte les cuisses et je claque les talons plusieurs fois sur le sol et mon corps est chaud.

Pourquoi s’agite-t-elle ainsi la petite silhouette devant le rayon lessive ? Le petit corps tordu et les mouvements comme incontrôlés. Les marques se succèdent colorées dans le supermarché. Et le petit corps s’agite et ses grâces infantiles. Elle part en avant. Elle part en arrière. Elle tourne. Elle bombe la poitrine et tourne à nouveau montrant son postérieur. La lumière violente des spots frappe la couronne de cheveux blonds. Elle n’écoute pas la femme qui l’interpelle. Elle lève un œil vif et volontaire et elle tourne, au bord du déséquilibre, selon une trajectoire subtilement calculée, une mathématique inconnue. Elle a des mouvements plus souvent courbes que saccadés. Elle joue avec son poids. Elle éveille des souvenirs familiers. Des pulsions grondent à l’entour dans les corps qui la frôlent et s’abstiennent avec effort, à leur tour de danser.