#enfances #04 | Levain

Il y a le lit et la fenêtre et la couverture, un lourd couvercle, la faiblesse des membres, le verre d’aspegic, oui oui je l’ai bu, il est sous le lit le verre d’aspégic 250, parce que c’est pas bon, le lit est de bois blanc, il y a les lignes plus foncées qui courent sur le lit, juste au-dessus de la lourde couverture de laine, c’est bon la couverture de laine qui pèse si lourd sur le corps, et le corps qui frissonne, des luxes d’enfance, plaisir vicieux, plaisir gourmand du corps qui flanche, je vous le laisse le corps, je le laisse au monde, je le laisse à la lourde couverture, mon bouclier de laine, je vous le laisse et je garde moi la seule sensation, celle du corps qui chavire, qui suinte, qui bourdonne, redoublé de chaleur, ancré et vaporeux sous le haut toit pointu, les lignes du bois courent sur le lambris, le goût sucré du sirop, un goût de cuir, le goût tanné dans la bouteille de verre brun, le liquide épais dans la cuiller en inox, boire le sirop jusqu’à la lie, qui jamais ne vient, je sais très tôt bien sûr que le sirop ne sert à rien, ça fait partie du protocole, des maladies légères, présentation de l’enfant enfoncé sous la couverture, tête minuscule sortant de son drapé de laine, sans sceptre et sans couronne, corps mou d’enfant malade, terrassé et heureux, ronde des visiteurs, sommeil impromptu, défilé erratique des heures, il fait nuit déjà, la chaleur sous la couverture, il fait nuit et le corps brûle, la tête sur l’oreiller semble basculer en arrière, corps à la renverse, croit se mouvoir au rythme de la terre, les océans gonflent comme le pain avec ses odeurs d’iode, la nuit toute entière à son tour, c’est que tout brûlant de fièvre, je suis le levain de la nuit dans un lit comme un navire ou alors une montgolfière, au seuil du sommeil c’est que l’on hésite entre l’envol ou le voyage en mer, il faudrait relire peut-être l’île aux Trésors.

A propos de Marion T.

Après tout : et pourquoi pas ?